La représentation du changement technique dans les modèles globaux économie-climat: de Limits to Growth aux évaluations des trajectoires de gaz à effet de serre (1972-2007)
Résumé
Des conclusions pessimistes du modèle World du Club de Rome dans les années 1970 sur l’avenir de nos sociétés, jusqu'aux modèles d'évaluation intégrée (IAM) contemporains produisant des trajectoires d'émissions neutres en carbone, la fabrication de futurs modélisés globaux a servi de laboratoire pour articuler des connaissances et des préoccupations économiques, environnementales et technologiques.
La représentation du changement technique a constitué dans ce cadre un enjeu crucial et controversé, soulignant en outre les tensions entre l’approche néoclassique du changement technique au sein des efforts de modélisation mondiale. Ce papier examine à partir de là les évolutions de la conception du changement technique, à l’interface entre la pensée économique, environnementale et technologique au sein des modèles d’évaluation économie-climat mondiaux. Quatre moments historiques sont pris en compte : les controverses suscitées par la publication du rapport du Club de Rome (Limits to Growth) dans les années 1970 ; les exercices d’évaluation globale qui ont suivi dans les années 70 ; la publication d’Energy in a Finite World par l’IIASA dans les années 1980 ; l’intégration d’un changement technologique endogène dans les IAM au tournant des années 2000.
D’une part, les représentations du changement technique ont évolué au fil du temps, révélant des visions normatives contrastées de l'avenir. Dans les années 1970, à la vision pessimiste de la technologie et du changement technique pour l’avenir de l’humanité de Limits to Growth, les exercices de modélisation mondiaux qui ont suivi ont opposé une vision plus optimiste dans laquelle le changement technique représente un mécanisme d'adaptation de nos sociétés et un des moteurs principal du changement structurel (dans les pays du Nord ou du Sud). Le cadrage neutre et apolitique du problème énergétique d’Energy in a Finite World de l'IIASA, en revanche, a constitué un changement de ce point de vue.
D’autre part, le changement technique s'est structuré progressivement comme une catégorie en soi et un objet d'intérêt académique, marqué par une "professionnalisation" et une sophistication des méthodologies utilisées d’analyse. Les demandes d'évaluation des stratégies d'atténuation du changement climatique à partir de la fin des années 1980 ont alors favorisé l’intégration des dynamiques énergétiques et économiques dans les modèles. L’intégration de mécanismes de développement endogène des technologies (déclenchées par des politiques d’innovation) a ainsi représenté un point nodal pour le dialogue entre les économistes et les modélisateurs de l'énergie.
Enfin, au sein de cette histoire, l'IIASA émerge comme un acteur central dans l’organisation de ce dialogue et la construction du changement technique dans les modèles globaux comme catégorie en soi depuis la création de son programme énergie (lancé dans les années 1970).