« La fontaine de Salmacis. Hantise de la mollesse et construction du masculin chez Rousseau »
Résumé
A considérer le spectre sémantique de la notion de « mollesse » dans la langue classique, on ne peut qu'être frappé par la remarquable aptitude du terme à glisser du concret à l'abstrait, du physique au moral, du propre au figuré. Au sens physiologique du terme, la mollesse caractérise d'abord le corps des nouveau-nés : « les fibres du cerveau dans l'enfance sont molles, flexibles et délicates » ; « les fibres [de l'enfant], molles et flexibles, prennent sans effort le pli qu'on leur donne ; celles de l'homme, plus endurcies, ne changent plus qu'avec violence le pli qu'elles ont reçu ». Mais les femmes, elles aussi, « ont les fibres plus molles, plus flexibles, plus délicates que les hommes ». Dans son acception plus abstraite et morale, le terme s'applique surtout aux hommes qui se sont affaiblis en compagnie des femmes, qui ont perdu la fermeté de leur vertu (virtu) . La définition de Furetière (1690) de l'adjectif « mol » est particulièrement significative de l'indistinction, au moins partielle, qui prévaut dans les usages du terme entre le concret et l'abstrait : « MOL, se dit fréquemment en choses morales, de ce qui est flasque et sans vigueur, tant à l'égard du corps que de l'esprit. C'est un homme mol et efféminé, qui n'est pas capable de grande fatigue, qui n'a point de coeur ni de fermeté ». Quant au substantif « mollesse », il est défini par Richelet (en 1679) comme une « sorte de délicatesse lâche […] qui sent plus la femme que l'homme et qui n'a rien de fort », et bien plus tard, dans l'Encyclopédie, comme la « délicatesse d'une vie efféminée, fille du luxe et de l'abondance ». La notion est donc essentielle, à l'âge classique, pour désigner la menace d'un devenir féminin de l'homme. On songera en particulier à la récurrence du terme et de ses dérivés dans le Télémaque de Fénelon.
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