« “L’empire des sens”. Julie et le plaisir dans La Nouvelle Héloïse »
Résumé
À peine Julie at -elle avoué sa flamme à Saint-Preux qu'elle lui déclare hautement : « deux mois d'expérience m'ont appris que mon coeur trop tendre a besoin d'amour, mais que mes sens n'ont aucun besoin d'amant ». Mais dans sa lettre posthume, et en parfaite contradiction avec cette déclaration initiale, Julie fait part à Saint-Preux d'une autre découverte : « Je me suis longtemps fait illusion. […] Vous m'avez crue guérie et j'ai cru l'être. […] Un jour de plus, peut-être, et j'étais coupable ! ». Le terme « coupable » est sans ambiguïté : c'est bien l'imminence d'une « chute » qui est envisagée, et partant la puissance incoercible d'un désir physique qui est affirmée. A la lumière de cet aveu ultime, Jean Ehrard appelait naguère à « en finir avec une lecture toute métaphysique du dénouement » et proposait de lire La Nouvelle Héloïse comme « un grand roman matérialiste » prêtant à Julie « un corps qui a sa vie propre, lieu et enjeu d'un sourd travail » Dans le prolongement de ces remarques, ainsi que des récentes propositions de René Démoris , on voudrait montrer ici que le roman de Rousseau peut être lu comme l'une des rares fictions, au siècle des Lumières, abordant de manière à la fois centrale et indirecte la question du rapport de la jouissance à l'amour, en particulier du point de vue féminin. Loin de se borner à reconduire le clivage traditionnel entre sens et sentiment, La Nouvelle Héloïse paraît, en effet, sourdement travaillé par la question, tout à la fois omniprésente et voilée, de la jouissance féminine, qui s'inscrit dans le texte de manière oblique. Obliquité paradoxale
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