Nicolas Picard, Le châtiment suprême. L’application de la peine de mort en France (1906-1981), Institut universitaire Varenne, 2018.
Résumé
Le volumineux ouvrage de Nicolas Picard, édition de sa thèse soutenue sous la direction de Dominique Kalifa, participe du renouvellement historiographique sur cet objet que Michel Foucault avait dans Surveiller et punir en 1975 « exclu » de l'histoire, montrant comment la prison pénale l'avait « remplacée » pour devenir à partir du dix-neuvième siècle la « guillotine sèche », pour reprendre la formule de l'un des fondateurs du Comité d'Action des Prisonniers (CAP) aux lendemains des mutineries des années 1970. Les historien.ne.s de la justice avaient déjà montré la manière dont cette peine capitale perdure, notamment à travers des travaux d'histoire sociale en lien avec d'autres pénalités, notamment la relégation. L'originalité et l'apport du travail de Nicolas Picard, lauréat du prix de thèse de l'Institut Universitaire Varenne (2018) est double. Il s'intéresse au soixante-quinze dernières années de l'existence de la peine de mort, soit à la période 1906-1981 et à l'évolution des pratiques d'application de cette peine de mort, en étudiant notamment la manière dont les décisions sont prises dans les arènes judiciaires et administratives. Cette période s'inscrit entre deux propositions d'abolition, celle de Clémenceau et celle de Robert Badinter. Ce choix est déterminé surtout par des données quantitatives : les exécutions capitales double entre la fin du XIXe siècle (20 en 1899, 11 en 1900) et l'année 1907 (41 exécutions). A partir de 1906 et jusqu'aux années 1940, le taux de condamnation à mort sur l'ensemble des condamnations prononcées ne cesse de croître alors même que leur nombre lui-même est stable puis décroît (2285 en 1905, 2139 en 1920 1073 en 1937). La seconde période du siècle, après un pic entre 1946 et 1950 (de 78 à 50 condamnations par an), est marquée quant à elle par une baisse conséquente et constante de cette peine jusqu'à son abolition en 1981. Deux autres chiffres animent d'emblée l'enquête de Nicolas Picard qu'il produit par un compte aussi méticuleux qu'utile. Entre 1906 et 1981, les tribunaux français en métropole prononcent 1375 peines de mort, dont 511 sont exécutées. N. Picard en dessine une géographie précise, cour d'assises par cour d'assises, année après année ; ces données amènent l'historien à examiner tour à tour et selon une pluralité d'approches, qu'il emprunte y compris à la psychologie à la fois, l'ensemble des paramètres de ce faible recours et surtout de sa « minime » exécution effective. L'auteur consacre des pages passionnantes à partir de l'analyse des archives de « l'administration des grâces » à une histoire de la pitié au vingtième siècle. L'historien donne le nom de chacun des 1375 condamnés-pour la période 1906-1916, il indique l'âge, la profession, la nationalité, le parcours pénal… En annexe, deux tableaux livrent ainsi la liste nominative complète des condamnés à mort, mentionnant la qualification du crime, le lieu de la condamnation, l'avis ministériel, la décision présidentielle. Ces tableaux, N. Picard en fait une lecture d'un immense sérieux, montrant comment en particulier au sein de l'Etat la grâce devient un marqueur politique fort. Mais sans doute l'intérêt majeur de cette étude tient-il dans le fait qu'il embrasse cette peine sous tous ses aspects. On se souvient du livre important d'Anne Carol, Au Pied de l'échafaud (Belin, 2017), qui suivait quasi minute après minute l'exécution, mobilisant tous les outils d'une histoire sensible. Ici, Nicolas Picard ne néglige pas l'exécution de la peine dans sa matérialité, mais il la replace dans une histoire longue qui s'écrit aussi bien à partir des notes de cabinet de la Chancellerie que des rapports des surveillants pénitentiaires.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)