De la servitude volontaire du commentateur à Aristote
Résumé
La littérature commentariste, et en particulier les commentaires aux oeuvres d’Aristote, connaissent un renouveau important, marqué en particulier par l’entreprise de R. Sorabji (Ancient Commentators on Aristotle project). Son intérêt pour l’historien de la philosophie est indéniable, mais c’est sous un autre angle que nous interrogeons cette littérature et ce corpus, dans une période précise (ive-vie siècles) en posant la question de la possibilité pour une pensée philosophique originale de s’exprimer dans le contexte pédagogique et le genre du commentaire – format de prédilection des philosophes néoplatoniciens – qui pousse à un certain conservatisme. Le passeur qu’est le commentateur s’autorise-t-il à penser, en un sens qui n’est pas de simple lieutenance, dans le cadre devenu extrêmement rigide de son agenda commentariste ? Les conditionnements sont en effet multiples : (1) structure littéraire très formalisée du commentaire, et devoir de reprise de la tradition secondaire ; (2) statut de propédeutique à la philosophie platonicienne attribué à certaines oeuvres privilégiées d’Aristote ; (3) programme “concordiste” visant à harmoniser la pensée des deux philosophes et à désamorcer les antagonismes. Il apparaît que même les développements “personnels” de deux commentateurs extrêmes (Simplicius et Philopon), sous forme de fugues clandestines, soulignent le caractère inhibiteur de ce format et la rigidité de l’agenda néoplatonicien. Soumis à une forme de double contrainte, entre exigence d’objectivité et mission conservatrice de validation de l’autorité, le commentateur irrésistiblement cède au trop lourd cahier des charges et fonde sa pensée sur l’allégeance.