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Chapitre D'ouvrage Année : 2018

La spécificité carcérale du graffiti

Résumé

« On croit généralement, dans le public aussi bien que parmi les savants, que la prison […] est un organisme muet et paralysé, sans voix et sans bras, parce que la loi lui a imposé le silence et l'immobilité. Mais nul décret […] n'a d'action contre le courant naturel des choses. Aussi cet organisme parle-t-il […]. Seulement […] il procède alors par des voies souterraines et dissimulées. Tout lui est bon à cette fin : les murs des prisons, les cruches, les bois des lits » (Cesare Lombroso, Les Palimpsestes des prisons, 1894). Durant le XIX e et jusqu'à la fin du XX e siècle, le régime de détention en vigueur dans les prisons françaises était particulièrement drastique et s'apparentait à un régime de type militaire. L'administration pénitentiaire privilégiait d'ailleurs le recrutement d'anciens soldats aux postes de surveillants, supposés être les plus compétents pour faire appliquer ce régime auprès des détenus. En parallèle, les règlements organisant le régime intérieur et l'organisation du travail dans les prisons des 19 janvier et 29 juin 1923 aménageaient une journée en détention particulièrement monotone, où prévalait une règle de silence absolu 1. Les heures de lever des détenus, du commencement et de la cessation de leur travail, des repas, de l'office religieux... étaient signalées par un ou plusieurs coups de cloche ou de sifflet. Tous cris, chants et interpellations (ainsi que les jeux) étaient strictement interdits ainsi que tout échange entre détenus. Les surveillants ne devaient leur adresser la parole qu'à voix basse et seulement pour leur donner des ordres. Lors de la promenade quotidienne obligatoire (qui se pratiquait en files individuelles à distance ou à intervalles marqués, c'est-à-dire en « file indienne »), si un détenu avait besoin de s'adresser à un surveillant, il devait lui faire un signe de la main et lui parler à voix basse. Outre ce silence qui pesait sur eux, le quotidien des détenus était strictement encadré et ne leur offrait guère de latitude : aussitôt le signal du lever, ils devaient se lever, s'habiller, plier leurs fournitures de literie, balayer leur cellule et faire leur toilette. Le soir, une fois leur journée de travail achevée, ils devaient dès le signal donné faire leur lit, se déshabiller et, un quart d'heure après, se coucher. Ils pouvaient être fouillés durant leur incarcération « aussi souvent que le directeur ou le surveillant-chef le juge[ait] nécessaire ». Il leur était en outre interdit de monter à la fenêtre de leur cellule, d'user des moyens mis à leur disposition (sauf en cas d'urgence ou de nécessité absolue) pour appeler les surveillants, de coller sur les murs de leur cellule des images ou des affiches (sauf des photographies de leur famille, mais seulement à titre de récompense) et ils devaient entretenir leur cellule dans « un état constant de propreté ». Enfin, l'usage du tabac était interdit et les détenus condamnés à trois mois et plus d'emprisonnement étaient tenus de porter un uniforme. Ceux qui dérogeaient à ces prescriptions pouvaient s'exposer à des sanctions, comme celle de la punition de cellule au quartier disciplinaire. De 1839 à 1972, les détenus incarcérés dans les prisons françaises étaient donc soumis au silence. La circulaire du 10 mai 1839 le prescrivait effectivement aux condamnés incarcérés dans les maisons centrales de force et de correction et cette interdiction perdura jusqu'en 1972, année où l'article D 245 du Code de procédure pénale l'abrogea officiellement (même si, dans les faits, une large tolérance était accordée dans la plupart des établissements pénitentiaires). Le silence constituait un moyen, avec la religion et le travail, au service des objectifs de correction et de réinsertion portés par la peine d'emprisonnement à partir du début du XIX e siècle. Mais s'ils ne pouvaient pas officiellement communiquer entre eux, ni s'exprimer librement, les détenus usaient de toutes sortes de subterfuges pour contourner cette 1 Code pénitentiaire, Melun, Imprimerie administrative, 1925, t. XXII, p. 4 et 133.
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11_spécificité carcérale du graffiti_DEF. CP.pdf (158.19 Ko) Télécharger le fichier
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-01819554 , version 1 (20-06-2018)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01819554 , version 1

Citer

Jean-Lucien Sanchez. La spécificité carcérale du graffiti. Laure Pressac. Sur les murs. Histoire(s) de graffitis, Editions du patrimoine, 2018, 978-2-7577-0582-7. ⟨hal-01819554⟩
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