“Sans conseil ne fais rien et tu ne te repentiras pas de tes actes”. Le consilium des cartulaires
Résumé
« Sans conseil ne fais rien et tu ne te repentiras pas de tes actes » 1 Le consilium des cartulaires Frédéric Boutoulle Aucune action juridique, pas même celle d'un roi ou d'un prince, n'est légitime si elle n'est concertée. Considérée comme condition fondamentale d'une norme délibérément raisonnable ou comme une garantie contre l'arbitraire, depuis Hincmar de Reims ou plus tôt encore, depuis l'Ancien Testament, la notion de conseil est au coeur des processus décisionnels et normatifs du Moyen Âge central, comme Gilduin Davy vient de le montrer à propos de l'édiction de la loi ducale en Normandie au XI e siècle 2. Mais quand on quitte ce niveau de pouvoir pour aller plus bas dans la société, au-delà du consilium considéré avec son doublet auxilium comme constitutif du servicium que le fidèle doit à son seigneur, le consilium est peu connu. Pourtant, il ne se limite pas à la sphère des relations féodo-vassaliques, ce que nous montrent parfaitement les cartulaires des XI e et XII e siècles. Les actes qui y sont consignés présentent bon nombre de transferts de droits, des donations pour reprendre les termes des scribes, accompagnées ou motivées par des consilia dont la majorité n'a pas été effectuée dans un cadre vassalique stricto sensu, ce qui pose la question de leur fonction Or on sait, grâce à la sociologie, que les donations ou plus précisément les transferts de biens au Moyen Âge, avaient un rôle majeur dans la structuration des liens sociaux 3. De ce point de vue, les conseils qui motivent ces transferts volontaires constituent évidemment une question centrale. Parmi les motivations exprimées des donateurs, il s'agit même d'une de celles qui reviennent le plus fréquemment, avec la rémission des péchés ou le salut de son âme. Ainsi, entre 1079 et 1095, Itier de Baigneaux et son frère Arnaud deux représentants d'une famille de seigneurs locaux de l'Entre-deux-Mers bordelais donnèrent à l'abbaye de La Sauve une terre et une part de dîme, consilio matris sue et amicorum suorum 4. Les habitués des cartulaires savent aussi qu'une bonne partie de ces « donations » a été passée à la fin d'une procédure judiciaire, cadre dans lequel des conseils ont été émis. Sous cet angle, si l'on en sait plus maintenant des modes de résolution des conflits du Moyen Âge central, la place et le rôle du conseil n'y sont pas aussi bien connus qu'aux XIV e et XV e siècles, quand les sources de la pratique ou de la norme judiciaire sont infiniment plus riches. C'est donc sur ces deux champs que se place l'étude des consilia des cartulaires, celui des donations et celui du règlement des conflits. La communication s'appuiera sur les consilia recueillis dans les cartulaires des établissements religieux de la Gascogne bordelaise, soit les diocèses de Bordeaux et de Bazas 5. La période retenue, un gros XII e siècle, commence avec les premiers actes du principal des cartulaires de la région, celui de La Sauve-Majeure (1075) et s'achève 1 Livre de l'Ecclésiastique, 32, 19. 2 Yves SASSIER, Royauté et idéologie au Moyen Âge. Bas Empire, monde franc France (IV e-XII e siècle), Paris, Colin, 2002, p 166-167, 205 ; Gilduin DAVY, Le duc et la loi. Héritages, images et expressions du pouvoir normatif dans le duché de Normandie, des origines à la mort du Conquérant (fin IX e
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