Expérimenter un nouveau régime de genre et devenir un “homme à poigne”
Résumé
Cette proposition de communication repose sur une enquête doctorale qui a cherché à
comprendre l’existence d’une attraction matrimoniale internationale genrée touchant les conjugalités
franco-postsoviétiques. Parmi les couples vivant en France, on observe que dans 95 % de cas, ces
conjugalités impliquent en effet un homme français et une femme russe. De façon similaire, dans les
pays postsoviétiques, en Russie, en Ukraine, au Belarus mais aussi en Roumanie et en Hongrie, rares
sont les femmes françaises engagées dans une union avec un homme sur place tandis que la situation
inverse apparait courante. Mon propos ici voudrait s’attarder précisément sur le cas d’hommes français
ayant migré dans ces pays et vivant en couple avec une femme russe ou bélarusse dans la mesure où
leurs parcours incarnent empiriquement des mobilités de genre.
Migrer dans un autre pays implique de changer de système normatif et d’appréhender un nouvel
ordre social et, par conséquent, un nouvel ordre de genre. Chaque société possède en effet un système
sexe/genre spécifique au sein duquel être un homme ou une femme implique d’avoir des comportements
descriptibles pour être perçu·es comme tel·les. En migrant, les comportements attendus selon que l’on
appartienne à l’une ou l’autre catégorie de sexe ne sont plus tout à fait les mêmes que ceux préconisés
dans le pays de départ. En l’occurrence, les pays postsoviétiques possèdent une histoire commune qui a
contribué à façonner certains régimes de genre et d’intimité qui diffèrent de ceux qui ont cours en France.
De ce fait, les configurations de la pratique de genre, autrement dit la masculinité et la féminité, ne sont
pas les mêmes dans ces deux pays. Que se passe-t-il alors lorsque les comportements de genre ne
répondent pas aux normes de la société d’arrivée ? Comment ces accidents de l’interaction sont-ils
résolus, pris en charge par les individu·es ? Quelles conséquences ces manquements et leurs réprimandes
entrainent-ils sur les parcours de ces hommes, sur leur vie conjugale et, in fine, sur leur projet de genre ?
En se déplaçant d’un pays à un autre, les hommes français étudiés développent des compétences
analytiques et réflexives sur le genre. En comparant systématiquement les deux sociétés à partir de leurs
expériences singulières, ils deviennent capables de mettre en mot les normes et les règles pratiques des
régimes de genre, du pays d’où ils viennent et de celui dans lequel ils se sont installés. De là, ils peuvent
devenir des sortes d’experts du genre qu’ils décrivent avec minutie mais s’ils se livrent à de tels
procédés, ils le font pour des raisons pratiques. Deux cas seront mobilisés pour illustrer le passage d’un
régime de genre à un autre, celui de Nicolas et d’Étienne, deux hommes qui ont fait le choix (et tous ne
le font pas) de réformer leur masculinité pour la rendre conforme au régime de genre du pays
d’installation. Le travail accompli par ces enquêtés pour « passer » témoigne avec force des
déplacements qui peuvent intervenir dans l’espace du genre à l’échelle d’une vie tout en révélant le rôle
de la migration transnationale dans ces transformations.