Ordre moral, ordre local : le soupçon comme réponse à la vulnérabilité sociale - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Carnets de bord en sciences humaines Année : 2007

Ordre moral, ordre local : le soupçon comme réponse à la vulnérabilité sociale

Gilles Frigoli

Résumé

La distinction entre « bons » et « mauvais » pau-vres, entre « bons » et « mauvais » immigrés, tend à (re)devenir depuis quelques années en France un élément structurant des politiques sociales et des politiques liées à l'immigration. Le soupçon qui pèse dans ce contexte sur les personnes vul-nérables peut s'appréhender en tant qu'attitude morale adoptée par des élites politiques soucieu-ses de valoriser la responsabilité individuelle, le travail et le mérite. Mais le soupçon est aussi une pratique qui, dans le temps de la construction de l'action publique, se déploie au travers de compé-tences, de procédures, d'instruments, de métho-des, censés permettre de séparer objectivement le bon grain de l'ivraie. Or, à la lumière de travaux d'enquête portant sur deux domaines particuliè-rement exposés à cette logique du soupçon, l'action sociale d'urgence et la demande d'asile, on me-sure le poids des contingences qui interviennent dans les pratiques des organisations (organismes sociaux, associations) et des acteurs (travailleurs sociaux, agents administratifs) qui se voient ainsi constitués en « agents de tri » au service d'un ordre moral et d'une justice locale. u fond de moi, je pense qu'on n'a pas été assez ferme sur le respect des devoirs et pas assez généreux sur l'expression des droits » déclarait, il y a peu, un candidat à la Présidence de la République française lors d'un entretien accordé à un grand hebdomadaire national 1. Ce faisant, sans doute manifestait-il son atta-chement à la relation de réciprocité, classique dans la tradition républicaine, qui unit droits et devoirs dans l'exercice de la citoyenneté. Mais l'essentiel n'est pas là. En sous-entendant que l'on se doit d'être à la fois plus ferme et plus généreux, cette profession de foi, pour ne pas apparaître comme contradictoire, suppose que l'on distingue de manière claire deux catégories d'individus : ceux à l'encontre desquels doit s'exercer une sévérité plus grande, et ceux à l'égard desquels davantage de sollici-tude s'impose. Ici, touche-ton sans doute au coeur du paradoxe qui tend à gouverner aujourd'hui l'ensemble des politiques sociales : soit l'idée de proportionner la compassion affichée vis à vis de la souffrance à la fermeté manifestée dans les faits face à ceux qui en font état. Le paradoxe n'est toutefois qu'apparent pour peu que l'on se résolve à considérer qu'il est des souffrances, donc des demandes d'aide, légitimes et illégitimes, et par consé-quent qu'il est de bonnes méthodes de trier entre les premières et les secondes. Au sein de cet ordre politique compassionnel et punitif ou, pour reprendre les termes de Didier Fassin (Fassin, 2005 : 362), au nom de cette « répression compatissante », la logique du soupçon apparaît dès lors comme pragmatiquement et moralement fondée, et il n'est plus qu'à organiser les conditions du procès en responsabilité intenté à ceux qui font valoir une demande d'intégration au sens large.

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Citer

Gilles Frigoli. Ordre moral, ordre local : le soupçon comme réponse à la vulnérabilité sociale. Carnets de bord en sciences humaines, 2007, 13. ⟨halshs-00181004v1⟩
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