The other side of the "power vertical" in Russia
L’envers de la « verticale du pouvoir » en Russie
Résumé
Cette communication vise à éclairer le fonctionnement quotidien du régime russe qui a émergé depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir en 2000. La Russie des années 1990 se caractérisait par une large autonomie des pouvoirs régionaux, des services publics, des branches stratégiques de l’économie et, plus généralement, des secteurs de la société à l’égard de l’État central. Cette situation était due autant à une démocratisation du régime qu’à l’incapacité des autorités centrales à exercer leur emprise en raison de la grave crise économique dans laquelle était plongé le pays depuis la chute de l’URSS. Un heureux hasard accompagne l’arrivée de Poutine à la présidence : la rente pétrolière, qui a renfloué les caisses de l’État à partir du début des années 2000, a donné aux autorités fédérales les moyens de reprendre en main les différents secteurs de l’État et de la société. Ce tournant autoritaire est marqué par un recours intensif à la coercition : arrestations de représentants de diverses élites, prise de contrôle de médias par des entreprises proches du Kremlin, intimidation d’ONG, création par le pouvoir de partis d’opposition "loyale", mise à l’écart des leaders d’opposition qui ne jouent pas le jeu, encadrement strict des manifestations, etc.
Pour autant, cette vision de l’avènement d’un régime autoritaire entièrement piloté et maîtrisé par le "haut", qui correspond à l’image de la "verticale du pouvoir" revendiquée par V. Poutine et reprise par de nombreux spécialistes de la Russie, peut être soumise à discussion. Car elle ne rend pas compte d’un aspect important du processus : la nécessité dans laquelle se trouvent les dirigeants de faire des concessions majeures aux acteurs sur lesquels ils entendent exercer leur emprise. Le pouvoir poutinien est en effet un mode de gouvernement autoritaire condamné à passer des compromis et à transiger pour exister, quitte à accepter, voire à légitimer les contournements de ses propres réformes. Je me propose d’illustrer ce point à partir de l’univers de l’enseignement supérieur et de montrer comment les marchandages entre les bureaucraties centrales et celles des universités reconfigurent et altèrent amplement le contenu des réformes impulsées par le Centre.
Cette recherche s’appuie sur une série d’enquêtes auprès de vingt-six universités, des documents officiels, la littérature grise du ministère de l’Éducation, des annuaires statistiques, des sites Internet et la presse généraliste et spécialisée, ainsi que sur des entretiens avec des administrateurs d’université et des "experts" de l’enseignement supérieur russe.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)