La « philautie » humaniste, héritages et postérités
Résumé
La philautie est une des principales notions morales qui marquent la création littéraire et la réflexion philosophique des écrivains contemporains de l’humanisme et de la Contre-réforme. Elle se singularise, au sein des dénominations de l’amour de soi, par son assimilation à un défaut intellectuel, dans une perspective à la fois civile et religieuse, ce qui se manifeste par l’aveuglement et le mépris des règles comportementales et discursives. Les études réunies ici s’attachent à déterminer les significations que cette notion recouvre, les héritages dont elle procède, les modalités selon lesquelles elle s’impose dans les écrits et dans l’iconographie de ce temps.
L’objet de ce volume est donc de faire le point sur les acceptions et les enjeux de la notion de « philautie » dans les textes et l’iconographie des XVIe et XVIIe siècles, ainsi que sur les relais qui la rattachent, ou non, à celle d’amour propre. « Pré-histoires » de l’amour propre, mais aussi histoire d’une revendication humaniste dont la grandeur et la décadence est en soi riche d’enseignements, le parcours présenté dans ce volume tâche d’éviter la téléologie autant que l’enfermement dans un siècle, pour tenter de préciser une cartographie du recours au terme et à la notion de « philautie ».
Notre réflexion part d’un triple constat : le problème des fractures dans l’image du moi, de la connaissance de soi et de l’amour, sur une diachronie relativement longue ; la difficulté qu’il y a à tracer des lignes, droites ou courbes, à partir du XVIe siècle en direction de la littérature morale et dévote du XVIIe siècle ; et la continuité néanmoins de représentations récurrentes d’un terme à l’autre de ce parcours, ce qui fait du dossier iconographique présenté dans ce volume un bon indice de l’évolution du sens des mots et des lignes de partage lisibles au long de cette histoire. En prélude à la lecture chronologique que ce livre propose des corpus explorés, nous en dégagerons ici quelques grands axes. Trois questions orientent en effet notre enquête, celle qui touche à la question de l’emploi du mot de « philautie » et des sources qui le motivent (Pourquoi ce mot ?), celle de ses cibles et de ses champs d’application privilégiés – religieux, social intellectuel – qui sont autant de laboratoires de la notion (Contre qui ou contre quoi parle-t-on de « philautie » ?), et celle de la poétique des genres mobilisée dans des mises en scène relevant d’une rhétorique spécifique et posant, fondamentalement, la question du langage (Quels sont les langages de la « philautie » ?).