"La supersticieuse et vicieuse Cabale, modèle et détournement chez Jean Thenaud"
Résumé
Lorsque François Ier commande à Jean Thenaud un ouvrage sur la kabbale vers 1518, c’est l’occasion pour le franciscain de lui fournir, sous l’apparence d’un traité de mystique hébraïque, un enseignement chrétien, dionysien, gallican, auquel il travaille depuis 1508. Cependant étudier la kabbale c’est se pencher sur l’illicite, particulièrement s’il s’agit de théurgie, de magie opérative et on connaît les positions de la faculté de théologie sur la question. Dès lors, comment Jean Thenaud va-t-il manoeuvrer pour ne pas se commettre avec l’impie, tout en répondant à la demande royale ? D’autant que le théologien devra s’y reprendre à deux fois et donc étudier la matière kabbalistique un peu plus qu’en surface, tout en déclarant dans le même temps n’avoir jamais été « usite ny abile » en cet art et ne savoir ni lire ni comprendre l’hébreu ? Naviguant entre emprunt, critique et détournement, sa marge de manœuvre est faible, car la conclusion de son ouvrage est déjà écrite : la sainte simplicité et les psaumes sont plus efficaces que toute magie et, en avertit-il le roi, « il ne fault pas si curieusement mettre en avant ne appliquer vainement noms anciens, lettres, ceremonies » ! Nous tentons donc de suivre pas à pas le franciscain dans ses stratégies : pour cela, nous nous référons à l’intégralité de son oeuvre manuscrite, mais aussi à son corpus de diagrammes à visée contemplative, véritables icônes mathématiques, dont Thenaud détourne les sources juives dans le sens de ses propres objectifs. Parallèlement cette étude nous permet aussi de répondre à la question de savoir à partir de quand Jean Thenaud s’est-il intéressé à la kabbale et pourquoi le roi l’interroge-t-il sur le sujet. Plus largement, cette contribution permet de mieux comprendre le programme pédagogique élaboré par le tandem François de Moulins de Rochefort /Jean Thenaud pour l'édification morale et spirituelle de leur élève royal.