Imposture et possession diabolique. Une preuve controversée : la connaissance des langues - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2016

Imposture et possession diabolique. Une preuve controversée : la connaissance des langues

Résumé

On voudrait ici donner quelques aperçus des combats de la plus extrême violence qui agitent l'Europe moderne, dès le XVI e siècle, quant à la réalité des phénomènes de possession, à partir de la question de l'imposture, qui est d'abord la qualité majeure du diable associée à la malignité, dès lors que son existence est affirmée, mais aussi et de plus en plus invoquée contre chacun des groupes constitutifs de la scène ou théâtre de la possession: impostures des possédé(e)s prétendu(e)s, impostures des exorcistes et des démonologues qui veulent prouver la présence diabolique, et accusent à leur tour d'imposture ceux qui mettent en cause les "diableries", en particulier les médecins de plus en plus sollicités pour leurs expertises. Nous suivrons comme fil, pour traiter cette question, les discours et les actes autour de ce qui est traditionnellement considéré comme l'un des signes majeurs permettant de prouver la présence diabolique dans un corps humain: la capacité de parler et de comprendre des langues non apprises. Le Démon, "père du mensonge", figure théologique et même métaphysique de la tromperie et de l'imposture (voir la figure cartésienne du malin génie et ses antécédents médiévaux), multiplie ses leurres et ses tromperies dans et par la possession. Le dispositif de l'exorcisme vise à déjouer et affronter les ruses et les impostures diaboliques, dont la première est celle qui consiste, de la part des démons, à produire le doute sur leur propre présence. Il s'agit ainsi, bien plus que de chasser les diables des corps qu'ils possèdent, de les contraindre à avouer la vérité, ou plutôt "des vérités", conjoncturelles (sur leurs identités propres, les circonstances de la possession, les sorciers responsables, etc.) et générales (sur leur présence, leurs pouvoirs et les limites de ces pouvoirs, leur organisation sociale, etc. toute la démonologie y passe mais aussi l'apologétique militante, les erreurs de l'hérésie et les vérités de l'Église)… Dans certaines circonstances, le diable se fait même prêcheur et dispense aux foules les vérités de la foi. En effet, souvent, à l'époque moderne, la possession est une aubaine exploitée publiquement à des fins d'édification, de controverse et d'apologétique et s'inscrit dans une durée conséquente; le temps pris par le combat contre les ruses diaboliques, l'établissement du fait de la possession, l'obtention des révélations opiniâtrement extorquées, leur publication et leur articulation éventuelle à des procès contre des sorciers ou magiciens, selon le schéma qui s'imposa en certains pays (surtout la France), de religieuses possédées de démons suscités par un prêtre sorcier (affaires, d'Aix, de Loudun, de Louviers etc.). Il ne faut donc pas que les démons s'en aillent trop vite, bien au contraire, plus ils demeurent et reviennent hanter leurs victimes et plus le dispositif apologétique est efficace. L'exorcisme devient d'ailleurs un dispositif d'enquête et de preuve, indexé sur le droit et même, dans les affaires où possession et sorcellerie sont associées, articulés aux procédures juridiques, visant à déjouer les ruses dénégatrices et mensongères des diables, à faire avouer la vérité à des êtres surnaturels réputés n'énoncer des vérités que pour plus et mieux tromper les hommes ("Même par les vérités qu'il révèle, le démon cherche à conduire l'homme au mensonge", Thomas d'Aquin, De Malo, chap. 16 1). Il se donne ainsi comme une machine visant à extorquer la vérité au menteur, commun dispositif pour lui faire avouer, sous la question, par les tourments qui lui sont infligés à travers la langue (le latin), les formules du rituel, l'application des objets sacrés (eau bénite, reliques, croix…), en contraignant voir en malmenant parfois le crops possédé, les vérités à la gloire de l'Église et sur ses ennemis: les sorciers d'abord, mais aussi, et peut-être surtout, les hérétiques, mécréants et douteurs, qui dénoncent non seulement les impostures des possédé(e)s mais aussi celles des exorcistes eux-mêmes et des membres du clergé et des laïques dévots qui entourent et soutiennent les démoniaques, n'hésitant pas à parler de "collusion". La vérité arrachée aux démons possède ainsi une valeur immédiatement apologétique; la vérité de la présence agissante du démon dans la possession est une réfutation performative des mensonges et impostures de l'incrédulité et de l'hérésie et parmi les vérités avouées par les démons, les controverses contre tous les ennemis de la religion tiennent une bonne place.
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hal-02092046 , version 1 (07-04-2019)

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Citer

Jean-Pierre Cavaillé. Imposture et possession diabolique. Une preuve controversée : la connaissance des langues. Kirsten Dickhaut. Kunst der Täuschung - Art of Deception: Über Status und Bedeutung ästhetischer und dämonischer Illusion in der Frühen Neuzeit in Italien und Frankreich, Harrassowitz, pp.229-252, 2016, Culturae / intermedialität und historische anthropologie, 978-3-447-10384-8. ⟨10.2307/j.ctvcwnzcm.11⟩. ⟨hal-02092046⟩
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