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Article Dans Une Revue Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée Année : 2018

Un délire bien fondé

Résumé

Ce texte explore la figure de l’amjah, l’émigré qui a rompu avec sa famille et son groupe d’origine en Kabylie. Une figure, ni rare ni fréquente dans le paysage social et mental des grands groupes d’émigration maghrébine, pourtant souvent absente des approches et travaux anthropologiques et sociologiques des sciences humaines et sociales sur l’émigration-immigration en France. Bien que le sens commun kabyle a toujours considéré le jih (égarement en immigration) comme une sorte de déchéance morale et individuelle de l’immigré, nombre de ces « auto- disparitions » (jih) sont bien souvent liées à des conflits intimes, aux choix matrimoniaux de la famille sinon à des litiges « d’honneur » dans la société d’émigration (i.e. de départ). Ce texte aborde le phénomène du jih à partir du rite de « l’appel » (asiwel) ; un rite essentiellement féminin qui consiste à « appeler » l’émigré égaré (amjah) depuis le sommet d’un rocher, le haut d’un arbre ou la lucarne d’un mausolée. Si, aujourd’hui, cet appel de plein air, « semi-public », ne se fait presque plus, sinon exceptionnellement, cela n’est pas dû au fait que les gens ont soudainement découvert son inutilité et son aberration, mais parce que « l’appel », s’est intellectualisé, s’est dégagé de l’appareil cérémoniel (arbre, rocher, mausolée) et s’exécute maintenant in petto, sous forme d’une prière (daawa) intérieure et silencieuse, avec des formules plus longues et plus livresques (sourates du Coran). Ce n’est pas tout, si le rite recule c’est aussi parce que, aujourd’hui, l’émigration n’est plus un tort, mais un sort souhaité, désiré et recherché par bon nombre des jeunes. Enfin, ce texte propose de voir dans la nouvelle émigration « solitaire » et scolaire de nombreuses femmes célibataires et diplômées d’aujourd’hui une sorte de jih déguisé ou « travesti ». En effet, le but de ces jeunes femmes, dotées d’une grande légitimité scolaire et d’une faible légitimité sociale est moins d’accomplir un projet d’émigration que d’échapper, pour ne pas dire de fuir, un despotisme morale et sociale. On peut dire, en effet, qu’une majorité de ces femmes « dissimulent » leurs émigration morale derrière la raison scolaire comme certains jeunes hommes « dissimulaient », autrefois, leurs émigrations « morale » (jih) derrière l’émigration de travail.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01990946 , version 1 (23-01-2019)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01990946 , version 1

Citer

Kamel Chachoua. Un délire bien fondé. Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, 2018, Mobilités et migrations en Méditerranée : Vers une anthropologie de l’absence ?, 144. ⟨hal-01990946⟩
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