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Article Dans Une Revue Droit Social Année : 2007

L’illégalité sous-traitée ? Les conséquences du recours à des employeurs intermédiaires dans le secteur du bâtiment

Nicolas Jounin
  • Fonction : Auteur
  • PersonId : 843786

Résumé

Si, comme l'écrit A. Supiot, la « norme juridique (…) vise à rendre le monde tel qu'il est conforme à un monde tel qu'il devrait être » (2002 : XI), son rapport avec le réel est ambivalent. D'un côté, cette norme ne peut être critiquée au nom d'une réalité dont elle serait « déconnectée » ou qu'elle servirait mal, puisqu'elle est l'expression de principes qui doivent survivre à leur transgression, et doivent continuer de fonctionner comme des référents permettant, justement, de nommer certains actes transgressions. D'un autre côté, il reste utile de s'intéresser aux béances existant entre « le monde tel qu'il est » et le monde voulu par la norme juridique, de traquer les infractions chroniques et les iniquités laissées dans l'ombre, car on ne peut se satis-faire que la loi dise les « bons » principes si ceux-ci sont constamment bafoués. Une telle démarche est sans doute moins étrangère aux juristes du travail qu'à d'autres branches du droit, car « leur » législation s'est imposée au nom de réalités jugées injustes, contre la rationalité formelle d'un droit civil obnubilé par l'abstraction du contrat entre égaux (Supiot, 2002 : 194-199). C'est, précisément, à une banale comparaison entre la norme et les faits que se consacre cet article, reposant sur une enquête sociologique dont la méthode principale fut l'observation participante (neuf mois comme ouvrier stagiaire ou intérimaire sur des chantiers de gros oeuvre franciliens) (1). Pas seulement pour souligner l'ampleur des infractions au droit du travail dans ce secteur particulier, mais aussi pour analyser ce qui, dans l'articulation entre le système juridique et les pratiques, mène à des mises à l'écart répétées du droit. Le recours grandissant à la sous-traitance et à l'intérim, à l'ombre duquel prolifèrent les illégalités, ne signale pas forcément un mouvement univoque de dégradation des conditions d'emploi, mais plutôt une révision de la gestion de la force de travail après plusieurs lois des années 1970 qui, d'un côté, rendaient les licenciements plus difficiles et, de l'autre, légalisaient (en le réglementant) l'usage d'intermédiaires, donc l'externalisation de la main-d'oeuvre. Par exemple, la rationalité juridique qui préside à la légalisation de l'intérim (forme de marchandage qui ne porterait pas préjudice au salarié) est battue en brèche pour les intérimaires du bâtiment, qui dans la pratique ne bénéficient pas des garanties spécifiques prévues par la loi. Brocarder les entreprises de travail temporaire (ETT) comme délinquantes ne suffit pas, alors que le cadre légal favorise cette délinquance (et que le contexte économique y incite). La loi, en autorisant l'intérim, autorise une forme d'emploi qui affaiblit les salariés, ce qui en retour donne aux employeurs des marges de manoeuvre pour ne pas respecter la loi.

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hal-01822291 , version 1 (24-06-2018)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01822291 , version 1

Citer

Nicolas Jounin. L’illégalité sous-traitée ? Les conséquences du recours à des employeurs intermédiaires dans le secteur du bâtiment. Droit Social, 2007, 2007 (1), pp.38-45. ⟨hal-01822291⟩
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