« De la lettre allusive à la lettre abusive : poétique de l’épistolarité dans À la recherche du temps perdu »
Abstract
Dans l'économie narrative et fantasmatique de la Recherche, pour qu'une lettre devienne matière à récit, il faut qu'elle accepte de se matérialiser, de se dégrader, de devenir ignoble. Même l'incomparable Madame de Sévigné s'avilit au contact de la triviale économie romanesque : la mère du héros cite l'épistolière pour faire des reproches à son fils et maintenir sur lui son emprise. Le roman proustien exige le sacrifice de la lettre comme institution littéraire et sociale. C'est pourquoi la lettre n'apparaît dans La Recherche que pour être détournée. Les lettres écrites, attendues et reçues par ces grands épistoliers que sont les personnages de La Recherche sont en effet captées, commentées et manipulées par le discours d'un narrateur souverain. Les personnages, scripteurs précaires, sont dépossédés de leur bien. L'entreprise de subversion de la lettre, conduite avec persévérance tout au long de La Recherche, anéantit les mythes humanistes dont la lettre est l'objet : la lettre comme miroir de la pensée ou comme lieu de l'authenticité à soi. La Recherche traduit la lettre devant un tribunal narratif qui la condamne à n'être que le produit du mensonge (lettres d'amour), de l'illusion (lettres persuasives) voire de la folie.
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