Dire l'intime en situation d'entretien : se dire et se risquer ?
Résumé
S’intéresser au lien conjugal en migration implique d’avoir un accès aux parcours migratoires et pour ce faire, la conduite de l’entretien biographique avec les principaux concernés constitue une voie certainement productive. Prenant les formes anodines de la conversation, l’entretien soumet l’informateur à un exercice d’introspection dans un espace-temps où la mise en récit est exposée à des filtres variés : celui du regard rétrospectif sur un passé migratoire pouvant être mythifié (Sirna, 2009) et celui de l’affect dans un champ - conjugal - qui en est pour le moins chargé, jouant sur la perception des évènements passés (Antoine et al., 2006). Dès lors, la situation d’entretien, non seulement sollicite les subjectivités mais les active, voire les déplace. En témoignent les états (et actions) de soulagement, de fierté ou d’implication produits à l’issue de l’entretien mais aussi de rétractation lorsque parfois la parole, immédiate et non récupérable, s’avère « dangereuse » (Barthes, 1981).
À partir de l’expérience d’entretiens menés, dans le cadre d’une thèse en sociologie, avec des femmes d’Afrique de l’Ouest et centrale immigrées en France, il s’agira de se pencher sur les effets concrets de la production de ce « matériau langagier » (Demazière, 2007) qu’est l’entretien biographique. Nous montrerons comment la situation d’entretien constitue alors un espace-tiers, entre ici et là-bas, entre avenir et passé, où l’informatrice, mise face à son histoire et à elle-même en tant que sujet, est amenée à se situer et à se mettre en jeu.