Visions et fantômes autour d’Agnadel : l’irrationnel au service du récit des événements
Résumé
La bataille d’Agnadel (14 mai 1509) — qui vit la lourde défaite des Vénitiens face à la coalition de la ligue de Cambrai, et principalement des armées de Louis XII — fut suivie d’une quantité impressionnante de récits rapportant des faits extra ordinaires : naissances monstrueuses, prophéties, incendie annonciateur, etc. C’est après la défaite qu’on voit apparaître à Venise ces discours qui, par le recours à l’irrationnel, mettent en réalité un peu d’ordre dans le récit des événements et, paradoxalement, servent également une certaine forme de rationalisation de l’histoire. L’article examine comment plusieurs des contemporains, à Venise, rapportent, après la bataille, l’incendie de l’Arsenal qui avait, deux mois auparavant, consumé une partie de la ville ; il analyse aussi la manière dont Luigi da Porto raconte comment il rencontra un « vieux fou », prophète à l’occasion, dont les élucubrations étaient supposées annoncer la prochaine défaite vénitienne ; et il observe enfin comment presqu’une dizaine d’années après la bataille, mais alors que la péninsule est toujours en guerre, des imprimés relatent que, sur le champ même de la bataille, des armées fantômes s’affrontent. À côté des récits de la bataille — mais pas nécessairement contre eux — s’organise un discours qui, prenant appui sur des manifestations irrationnelles, propose une logique de restitution du conflit et de compréhension du passé récent de la République vénitienne.