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Chapitre D'ouvrage Année : 2016

Conclusion

Bernard Formoso

Résumé

Les contributions réunies dans le présent recueil nous invitent à repenser en profondeur la nature des institutions qui donnent corps au concept de société civile et les finalités qui sont les leurs. En effet, l'examen des réalités sud-est asiatiques met en lumière toute une série d'obstacles culturels au processus d'émancipation régi par la présupposition d'égalité ‒ le processus de la politique selon Rancière ‒ et qui trouverait dans la société civile son lieu essentiel d'expression. Si la volonté d'émancipation existe bel et bien dans ces pays, portée selon les cas par la petite paysannerie, les minorités ethniques et confessionnelles, et secondairement par la bourgeoisie cosmopolite des centres urbains, elle se heurte à un strict ordonnancement statutaire au sein des communautés et à la relation patron-client comme structure de base des liens interpersonnels. Il en résulte une infiltration du processus de gouvernement ‒ la police selon Rancière ‒ au plus profond du social et un brouillage de l'opposition classique entre l'État et la société civile. La débauche d'énergie que consacrent les régimes de la région à la mise en place d'organisations relais ‒ les GONGO ‒ à des fins d'encadrement et d'endoctrinement de la population dénote parfaitement sur le plan institutionnel de cette infiltration de la sphère publique par le processus de gouvernement. Sur le plan de la dynamique sociétale et du politique, cette intrusion en force de la police dans l'espace social fait non seulement du tort au processus d'égalité, mais elle bride aussi puissamment la liberté d'expression dans sa faculté de vérification polémique et la liberté d'opinion et d'action des individus, tant ceux-ci sont « tenus » par des liens de patronage qui leur suggèrent ce qu'il faut penser, dire et faire. On aboutit de la sorte à une censure qui, comme le faisait remarquer Alexis de Tocqueville, est d'autant plus efficace qu'elle frappe la pensée elle-même, dès lors qu'elle substitue au doute la certitude en un ordre naturel des choses. Nous l'avons argumenté aux chapitres I et III par les exemples thaïlandais et cambodgiens, le principe de hiérarchie est dans les sociétés d'Asie du Sud-Est continentale d'autant plus profondément intériorisé et susceptible de générer des états de servitude volontaire qu'il puise sa codification première dans cette structure élémentaire du social qu'est la relation aîné/cadet (tout un chacun étant à la fois plus jeune que certains et plus âgé que d'autres). Or, la prescription sociale des univers holistes asiatiques qui veut que l'on ne contredise jamais publiquement un aîné ou un supérieur hiérarchique pour ne pas lui faire perdre la face fait obstacle à la liberté et à l'égalité d'expression. L'affirmation du principe de hiérarchie contamine aussi le registre des savoirs et rejaillit sur le plan politique en opposant les citoyens riches en capital scolaire et en statut social à d'autres, faiblement pourvus et qui sont de ce fait stigmatisés au nom de leurs supposés arriération et défaut de conscience politique.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01421578 , version 1 (02-01-2017)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01421578 , version 1

Citer

Bernard Formoso. Conclusion. Bernard Formoso. Sociétés civiles d'Asie du Sud-Est continentale. Entre pilotage d'Etat et initiative citoyenne, Editions de l'ENS, pp.265-277, 2016, 978-2-84788-807-2. ⟨hal-01421578⟩
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