Politiques de la performance, poétiques de la mobilisation
Résumé
En 2010, l’acteur Amitabh Bachchan venait à Paris pour chanter des extraits du fameux recueil Madhuśālā, publié en 1935 par son défunt père le poète Harivansh Rai Bachchan. Devant un public français amateur de lyrisme et d’exotisme, le fils Bachchan récitait avec douceur et gravité les vers évoquant le vin, l’ivresse, l’amertume de la vie et la beauté du monde. Cette performance, qui fait écho plus de 70 ans plus tard aux performances du poète qui déplaçaient alors des foules émerveillées, interroge la fonction des récitations publiques qui ont largement contribué à la diffusion de Madhuśālā. En 1935, c’est de fait dans la ferveur de la « décennie décisive » du mouvement nationaliste indien que le jeune poète de langue hindi Harivansh Rai Bachchan (1907-2003) publiait un recueil imprégné tant de romantisme, de mysticisme que de discours politique. Il l’accompagnait la même année d’une traduction en hindi des quatrains du poète persan Omar Khayyam (1048-1131), dont Madhuśālā s’inspire clairement, établissant là une filiation que les récitations ont pour ambition de populariser. Cette communication vise à interroger la fonction politique des récitations publiques du recueil, dans un contexte d’exacerbation des tensions communautaires entre Hindous et Musulmans. Je montrerai comment, par la forme de poèmes romantiques qui s’approprient nombre de clichés du romantisme du Chāyāvād, Bachchan parvient à déployer et promouvoir un idéal gandhien de la nation en devenir.