“Discernement ou confusion ? Les préférences christologiques et ecclésiologiques du peuple d’Alexandrie (Ve-VIe siècles.) d’après le Breviarium causae nestorianorum et eutychianorum de Liberatus de Carthage ”
Résumé
Riche, mais mené de façon partisane, le travail d'enquête conduit par Liberatus à Alexandrie repose donc sur une conviction principale : il convient de maintenir le peuple du côté des enseignés, ne lui laisser de marge d'expression que celle du consentement encadré et et de s'assurer de la qualité doctrinale des enseignants. A ces conditions, la situation des Alexandrins demeure réversible même lorsqu'ils paraissent le plus en danger de perdition: que se dresse un énergique patriarche orthodoxe et sans délai les premières améliorations se manifestent. Le diacre témoigne ainsi d'une conception fortement cléricalisée de la réflexion théologique qui atteste également d'une différence de sensibilité entre Occident et Orient. Il est en effet peu sensible à la contribution des laïcs à l'approfondissement de foi, alors même qu'en espace grec, elle conserve une importance plus grande. De la sorte, l'Africain anticipe et conforte la dénonciation de l'adage vox populi, vox Dei dont on sait qu'il apparaît pour la première fois sous la plume d'Alcuin en 798 dans un contexte assez difficile à établir et pour mieux être fustigé. Reste que si l'on se dégage du parti-pris par Liberatus, l'information détaillée qu'il nous transmet permet d'apprécier certaines lignes de cohérence caractérisant l'attitude de la population alexandrine : attachée à une ligne miaphysite incarnée à ses yeux par Cyrille (quoi qu'en dise le Carthaginois) et par Dioscore, soucieuse de voir son archevêque la défendre, elle rejette toute forme d'emprise impériale sur la désignation inaugurale de son chef, au risque de la division en grouspucules ou de l'extrémisme polarisateur. Cela ne signifie pas qu'elle soit par principe hostile au pouvoir du basileus ou qu'elle exprime ainsi une irréductible opposition ethnico-nationale, comme on l'a un temps cru, mais bien qu'elle considère qu'en la matière, l'empereur, comme d'ailleurs les évêques de l'oekoumène, doit rallier l'enseignement miaphysite du patriarche qu'elle aura elle-même accrédité et acclamé.