L'organisation spectaculaire de l'intime L'exemple de la pornographie - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue Revue des Sciences sociales Année : 2005

L'organisation spectaculaire de l'intime L'exemple de la pornographie

Résumé

Émergence de la notion d'intimité ■ L'histoire de la formation de l'individu moderne est celle de la différenciation entre un espace privé et un espace public, qui a fini par surdéterminer les représentations que nous nous faisons de la construction de la subjectivité, organisée par cette polarisation entre un dedans et un dehors. L'étude sociologique de cette différenciation a été inaugurée par Georg Simmel (1908, 1912), dont le mérite principal est d'avoir souligné l'incidence de notre capacité de voilement-dévoile-ment sur l'existence même des formes sociales : la société naît de l'impossibilité pour les acteurs d'avoir une connaissance totale les uns des autres. Sans un minimum de secret et de discrétion, il n'y aurait pas de société parce qu'il n'y aurait pas d'altérité de l'autre et donc pas de subjectivité (cf. Schmoll 2003). Simmel est donc le premier auteur à considérer le secret, défini comme limitation de la connaissance réciproque, non pas dans une approche négative (comme rétention d'information), mais comme une forme structurante à travers ses figures que sont le non-dit, le mensonge, l'intimité et la connivence. L'amitié, l'amour, supposent un jeu entre opacité et transparence de soi à l'autre et réciproquement, qui cimente ou distend les relations sociales. Les travaux d'Erving Goffman sur la présentation de soi (1959) ont relancé l'intérêt pour cette question : en empruntant la métaphore du théâtre, il étudie les interactions entre des acteurs conscients de l'écart existant entre l'être et le paraître, leurs personnages privé et public. Un simple raisonnement par défaut suffit à souligner l'effet sur les formes sociales de notre capacité à cacher et à montrer : si toutes nos pensées étaient accessibles à autrui, les relations sociales et jus-qu'à notre construction psychologique seraient altérées, le non-dit et le mensonge seraient impossibles, la connivence, l'aveu, l'authenticité n'auraient plus de valeur, le premier venu serait aussi connaissable que l'ami ou l'amant(e), le théâtre social disparaîtrait et les sociologues seraient au chômage. La psychologie, et notamment la psychanalyse depuis Freud, a également montré les effets structurants pour le sujet de l'impossibilité, non seulement de connaître les autres et d'en être connu, mais de se connaître complètement soi-même. L'irruption dans le soi d'un regard de l'autre qui ne laisserait aucune ombre peut avoir des effets délétères sur l'intégrité psychique, dont la psychose, paranoïaque ou schizophrénique, est une manifestation extrême. Il existe donc une tradition bien établie dans les sciences sociales, tant sur leurs versants sociologique que psychologique, pour poser la fonction structurante d'un espace du dedans, du fermé, du privé. Le droit au secret de la vie privée fait partie des libertés fonda-mentales dans les États démocratiques. Dans son roman 1984, George Orwell situe dans la perte du secret de la vie privée l'essence du pouvoir totalitaire : les personnages y sont détruits par la visibilité de leur espace intérieur physique (leur corps) et psychique (leurs peurs secrètes). Cette figure, qui est celle du panopticon de Jérémie Bentham, est évoquée par Michel Foucault (1975) : un dispositif de surveillance qui induit un sentiment conscient et permanent de visibilité assure le fonctionnement automatique du pouvoir.
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Identifiants

  • HAL Id : hal-01300474 , version 1

Citer

Patrick Schmoll. L'organisation spectaculaire de l'intime L'exemple de la pornographie. Revue des Sciences sociales, 2005, “Privé– public : quelles frontières ?”, 33, pp.66-77. ⟨hal-01300474⟩

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