Au vif de l'hyperbole, l'énonciation problématisante. - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue TRANEL. Travaux Neuchâtelois de Linguistique Année : 2014

Au vif de l'hyperbole, l'énonciation problématisante.

Anna Jaubert

Résumé

Pourquoi exagérer, et la figure de l’excès appelée hyperbole n’est-elle qu’une exagération ? Non sans doute, puisqu’elle est une figure, et qu’en cette qualité même elle manifeste le caractère problématique d’une énonciation. D’une manière générale les figures travaillent le langage en permanence ; d’une manière particulière les figures de pensée qui reposent sur un clivage énonciatif, comme l’euphémisme, la litote, l’ironie, l’hyperbole, dont on verra les points de convergence, doivent être rapportées au contexte où elles se produisent, avec plus ou moins d’éclat. La célèbre tirade du nez de Cyrano, bouquet d’hyperboles, illustre une mise en spectacle de l’énonciation : LE VICOMTE. Vous... vous avez un nez... heu... un nez... très grand.
 CYRANO, gravement. Très.
 LE VICOMTE, riant
. Ha !
 CYRANO, imperturbable
. C'est tout ?...
 LE VICOMTE
. Mais...
 CYRANO
. Ah ! Non ! C'est un peu court, jeune homme !
 On pouvait dire... Oh ! Dieu !... bien des choses en somme...
 En variant le ton, par exemple, tenez
, Agressif : Moi, monsieur, si j'avais un tel nez,
 Il faudrait sur-le-champ que je me l'amputasse ! Amical : Mais il doit tremper dans votre tasse
… Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! 
Descriptif : C'est un roc !... c'est un pic !... c'est un cap !
 Que dis-je, c'est un cap ?... C'est une péninsule !... E. Rostand, Cyrano de Bergerac, Acte I, sc. 4. D’emblée Cyrano a été présenté comme un cadet de Gascogne, un personnage héroïque… et théâtral : l’hyperbole avec lui signe son appartenance à un géolecte du Midi et affirme sa dimension socio-culturelle. Mais c’est surtout à la réversibilité pragmatique de l’hyperbole que l’on s’intéressera. L’hyperbole, à la fois créative et fortement conventionnalisée, caractérise certains genres de discours, et notamment les genres seconds ; mais à leur tour les genres contextualisent l’hyperbole et conditionnent son orientation. La figure-reine de l’épopée inverse sa visée lorsqu’elle est ressaisie dans le genre héroï-comique, carnavalesque : la marque du sublime devient caricature du sublime dans les discours de Matamore. En situation, l’encodage d’un énoncé anticipe sur sa réception. Lorsque la démesure est promise à un réajustement, elle allie expression et expressivité, pour dire au mieux ce que le discours veut dire. Ailleurs, tout au contraire, l’hyperbole non corrigée porte haut sa visée ironique, discréditante. Dans un autre environnement encore, comme celui de la reformulation, l’hyperbole sert une visée polémique, celle du dialogisme truqué dont le discours politique est friand : mais alors l’acte d’exagération constitutif de l’hyperbole est masqué. Au-delà des supports linguistiques investis, et de leur poids référentiel, c’est dans leur motivation reconnue qu’une figure s’apprécie. Nous tenterons de faire le point sur l’instabilité pragmatique de l’hyperbole qui inscrit dans l’exercice du langage le sentiment de ses limites.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01229072 , version 1 (16-11-2015)

Identifiants

  • HAL Id : hal-01229072 , version 1

Citer

Anna Jaubert. Au vif de l'hyperbole, l'énonciation problématisante.. TRANEL. Travaux Neuchâtelois de Linguistique, 2014, L'hyperbole rhétorique, 61-62, pp.79-90. ⟨hal-01229072⟩
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