Code graphique et intégration des emprunts en français : la querelle de l'y grec au XVIIIe siècle. - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2010

Code graphique et intégration des emprunts en français : la querelle de l'y grec au XVIIIe siècle.

Résumé

L'intégration graphique des emprunts se heurte, dans l'orthographe française, au scrupule étymologique. Depuis le Moyen Français, l'histoire de l'orthographe française se développe en tension entre la " tendance phonologique " et la " tendance étymologique, morphologique et sémantique " (Catach, 2001, p. 78-79). À l'égard des mots empruntés, la première tendance oriente le processus d'emprunt vers l'assimilation, tandis que la seconde met en place une modalité spécifique d'intégration : sans rejeter le mot emprunté, elle inscrit dans sa graphie la trace de son origine. Les choix orthographiques opérés au cours de l'histoire du français marquent, entre les deux tendances, une hésitation dont on peut voir un point de cristallisation dans la querelle du y au XVIIIe siècle. On montrera que, si les " ennemis de l'y grec " (Féraud, 1787-1788, " Abbaye ") semblent avoir un temps été en passe de l'emporter, le développement de la terminologie savante a finalement conforté l'usage de cette lettre. L'upsilon note dans le système phonographique du grec ancien un phonème /ü/, qui n'existe pas en latin. Les latins le translittèrent d'abord par leur u, puis adoptent, au Ier siècle avant J. C. la lettre y, imitée de l'upsilon majuscule (Biville, 1995, p. 255-259). " Littera peregrina ", la lettre y est, dès son introduction dans l'alphabet latin, un marqueur d'emprunt. À cette fonction originelle, les clercs du Moyen Âge ajoutent l'usage calligraphique de l'y : parce que plus lisible, il remplace, particulièrement en finale, la lettre i (Catach, 1995, p. 1109). Au XVIe siècle, Ronsard, allant sur ce point plus loin que Meigret, préconise de " racler " cet " espouvantable crochet d'y " (1550, p. 27) ; il faut, selon lui, " lors que tels mots grecs auront long temps demeuré en France, les recevoir en notre megnie et les marquer de l'i françois pour montrer qu'ils sont nostres " (ibid.). Si Richelet adopte la position ronsardienne, la première édition du Dictionnaire de l'Académie reflète les hésitations des scripteurs, écrivant analyse, analytique pour l'entrée de ces mots, mais analise, analitique à l'intérieur des articles, et choisissant l'i pour l'entrée analitiquement. La deuxième édition systématise l'y dans cette famille étymologique, mais conserve l'alternative en i dans d'autres cas, comme cimbale, cigne, ou stile. Au début du XVIIIe siècle, Buffier approuve l'usage des écrivains habiles qui mettent l'y " en la place de deux i voyéles ", comme dans " essayer, voyons " (1709, § 825) : l'y note un yod intervocalique, avec contamination de la voyelle précédente. L'Académie adopte dans sa troisième édition (1740), conduite par l'abbé d'Olivet, l'usage phonographique préconisé par Buffier, corrigeant en ayeul en aïeul, mais conserve l'usage de l'y étymologique. Les partisans de l'orthographe nouvelle, que leurs adversaires désignent par le néologisme péjoratif néographes (Desfontaines, 1755, p. 324 ; Prévost, 1755, " Néographisme "), reprennent le combat ronsardien contre les lettres étymologiques, et en particulier contre l'y, sous le regard approbateur de Beauzée : " Le néographisme moderne tend à substituer l'i simple à l'y dans les mots d'origine grecque où l'on prononce i, & fait écrire en conséquence martir, sillabe, simbole, sintaxe, hipocrite. Si cet usage devient général, notre orthographe en sera plus simple de beaucoup, & les étymologistes y perdront bien peu " (Beauzée, 1765, " Y "). Dans sa cinquième édition, le Dictionnaire de l'Académie reprend la graphie analise, et introduit analiser, anonime. Cependant que les grammairiens disputent, les scientifiques s'emparent du grec pour élaborer leur terminologie ; soucieux de marquer l'écart entre langue savante et langue commune, ils décident de la constituer à partir de formants grecs (Gaudin, 2007, p. 68). Si la première édition du Traité élémentaire de chimie marque une hésitation sur la translittération de l'upsilon, la deuxième tranche clairement en faveur de l'y. Dans la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie (1832-1835), il monte en puissance, avec l'introduction des termes savants, comme hydrogène et oxygène ; effet d'entraînement ou anti-néographisme, analyse et anonyme s'écrivent désormais avec y. Un figement de l'intégration graphique des emprunts grecs s'est alors produit, qu'aucune réforme orthographique n'a pu remettre en question. Utilisé pour des emprunts qui ne sont nullement tirés du grec, le graphème y fait partie des marqueurs d'origine étrangère (Gak, 2001, p. 33-34) : pourquoi en effet écrire pyjama plutôt que pijama, ou nursery plutôt que neurserie, sinon pour marquer l'extranéité de l'emprunt ? De ce point de vue, le code graphique constitue un obstacle à l'assimilation de l'emprunt, au moins autant qu'un indicateur.

Domaines

Linguistique
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-00782185 , version 1 (29-01-2013)

Identifiants

  • HAL Id : hal-00782185 , version 1

Citer

Agnès Steuckardt. Code graphique et intégration des emprunts en français : la querelle de l'y grec au XVIIIe siècle.. Identifier et décrire l'emprunt lexical, 2010, Liège, Belgique. ⟨hal-00782185⟩
86 Consultations
0 Téléchargements

Partager

Gmail Facebook X LinkedIn More