Le détachement apostrophique modifie-t-il l'organisation prédicative de l'énoncé hôte ?
Résumé
Traiter l'apostrophe dans le cadre de la prédication seconde, même conçue lato sensu, ne va pas nécessairement de soi. Toujours étudiée à « l'ombre de l'apposition », « dans la sarabande des fonctions syntaxiques », où elle « fait figure de petite dernière », selon Wilmet (2001), elle invite : – à discuter de la portée sémantico-énonciative du détachement, en sondant la notion de conversion pragmatique (Pop), et celle d'incidence (Guillaume, Wilmet, Marandin) ; – à explorer la notion de prédication elle-même, ce à quoi incite Bally, quand il soutient que l'apostrophe fonctionne « comme un thème général sur lequel repose l'énoncé proprement dit dans sa totalité ». Si parler de prédication seconde, pour ce qui serait un constituant thématique englobant, s'avère une mission impossible, il y a cependant une prédicativité interne à la séquence apostrophique, en particulier quand elle effectue une identification appréciative : Hors d'ici, chenapan. Ce faisant, elle ne remet pas en circuit une référenciation acquise antérieurement, mais construit l'accessibilité référentielle dans / par l'énonciation : c'est l'acte allocutif effectué et la déicticité construite par cet acte qui permettent l'identification. Hors d'ici, chenapan peut être glosé par Hors d'ici, toi dont je dis que tu es un chenapan. Dans ce cas, thème et rhème se superposent dans la même unité syntaxique, le thème n'étant pas discrétisé : c'est l'acte allocutif qui permet d'accorder une thématicité au mot en apostrophe, même si seul l'élément rhématique chenapan est discret. J'envisage dans cet article les points suivants : – au plan énonciatif, je montre que l'apport de l'apostrophe, par son seul ancrage dans la proposition hôte, marque l'intrusion explicite de l'énonciation dans l'énoncé, ce qui en propose une interprétation non plus seulement descriptive, mais aussi déictique ; – au plan sémantico-logique, je remarque que sa position détachée ne présage pas de sa thématicité ; – au plan syntaxique, je montre que la discontinuité syntactico-prosodique n'implique pas nécessairement l'autonomie, les apostrophes étant liées sémantiquement, mais aussi syntaxiquement à l'énoncé hôte. Je teste ces points de discussion sur des corpus authentiques (discours quotidiens et littéraires).