Un internet conservateur ? Les déterminants sociaux et politiques de l’activisme numérique
Résumé
Lecture critique de l’ouvrage de Jen Schradie : "The revolution that wasn’t : How digital activism favors conservatives", Cambridge, Harvard University Press, 2019.
L’irruption du web dans les sphères militantes, à compter du mitan des années 1990, a généré de nombreux espoirs. Alors que s’érodait l’adhésion aux formes traditionnelles de participation citoyenne (syndicats et partis politiques en tête), Internet est apparu comme un espace favorable aux mobilisations ponctuelles, mettant en réseau des individus engagés autour des mêmes causes, par-delà les frontières géographiques qui entravaient jusque-là les actions collectives. Les exemples du mouvement zapatiste et des mobilisations altermondialistes ont ainsi été fréquemment mobilisés pour illustrer le potentiel représenté par ce nouvel outil : les « sans-voix » disposaient désormais d’un mégaphone puissant leur permettant d’organiser leurs luttes, de publiciser leurs causes et ainsi d’attirer des sympathisants. Le traitement appliqué aux « printemps arabes » (2010-2011) est exemplaire de cet enthousiasme. Les mouvements contestataires traversant la région ont été présentés comme des « révolutions 2.0 » dans des discours consacrant les réseaux sociaux numériques (RSN) comme des outils de démocratisation, au détriment des dynamiques sociales qui traversaient depuis des années les différents pays, et notamment la Tunisie et l’Égypte.
Le décor se craquelle cependant depuis une dizaine d’années, et les fissures laissent apparaître des dimensions qui avaient été éludées aux débuts de l’internet grand public.