L'extravagance des banquets d'artistes florentins. Une garantie de bon aloi (Florence, 1512) - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2010

L'extravagance des banquets d'artistes florentins. Une garantie de bon aloi (Florence, 1512)

Résumé

Giovan Francesco Rustici (1474-1554) n'a joui ni de son vivant ni auprès de la postérité d'une grande renommée. Vasari décide pourtant de lui consacrer une biographie en bonne place de sa deuxième édition des Vies des plus excellents artistes (1568). Une biographie de vingt pages dont dix sont consacrées à décrire le détail des menus extravagants des singuliers banquets que l'artiste organisait à Florence dans ses appartements de la Sapienza au titre de fondateur et membre éminent des deux Confréries du Chaudron (Compagnia del Paiolo) et de la Truelle (Compagnia della Cazzuola) toutes deux fondées à Florence à quelques mois d'intervalle en 1512. Ces banquets sont des plus excentriques. Giorgio Vasari est le premier à les juger « fantasques et d'une bizarrerie inconcevable »: mets et convives il est vrai, y superposent, brouillent et invertissent avec un manifeste délice fiction et réalité, beau et laid, succulent et répugnant, dans un jeu permanent du sens dessus dessous. Pourtant, le biographe florentin s'y attarde, risquant de réveiller ou valider bien mal à propos les tenaces stéréotypes de l'artiste extravagant, marginal et peu respectable solidement ancrés dans la mentalité collective, particulièrement depuis les nouvelles de Boccace et Bandello. Pourquoi prendre un tel risque dans un contexte artistique fragilisé et précisément tendu vers une quête de réhabilitation de l'image de l'artiste et de la chose d'art ? C'est ce que nous nous proposerons de ici, en montrant comment Vasari instrumentalise le récit pittoresque de l'apparente extravagance de ces banquets et de leurs convives pour inscrire à l'inverse ces manifestations dans les codes les plus attendus du bon aloi politique alors imposés par la nouvelle culture officielle de mise. Le cadre des banquets, les statuts des Confréries évoquées, la rigueur des règlements qui encadrent le déroulement de ces soirées de fêtes, le goût distingué pour les jeux de l'artifice, du paraître et du faux semblant, la maîtrise des plaisirs : toutes ces facettes de l'excentricité singulière de ces repas à thèmes et à malice seront en somme habilement renversées et agréées par Vasari comme autant de manifestations de la plus régulière, convenable et « graziosa » intellectualisation de la chose d'art. L'étrangeté signalée dans ces morceaux d'anthologie devra dès lors être reçue comme une sorte de manifeste gastronomique du Maniérisme naissant en ce début de XVIème siècle (les soirées décrites ayant lieu rappelons-le en 1512). Nous comprendrons en somme que dans le cadre clandestin de ces soirées privées, Vasari nous propose un avant goût des codes et topoi artistiques maniéristes que les académies florentines
Giovan Francesco Rustici (1474-1554) n'a joui ni de son vivant ni auprès de la postérité d'une grande renommée 1. Vasari décide pourtant de lui consacrer une biographie en bonne place de sa deuxième édition des Vies des plus excellents artistes (1568). Une biographie de vingt pages dont dix sont consacrées à décrire le détail des menus extravagants des singuliers banquets que l'artiste organisait à Florence dans ses appartements de la Sapienza au titre de fondateur et membre éminent des deux Confréries du Chaudron (Compagnia del Paiolo) et de la Truelle (Compagnia della Cazzuola) toutes deux fondées à Florence à quelques mois d'intervalle en 1512. Ces banquets sont des plus excentriques. Giorgio Vasari est le premier à les juger « fantasques et d'une bizarrerie inconcevable »: mets et convives il est vrai, y superposent, brouillent et invertissent avec un manifeste délice fiction et réalité, beau et laid, succulent et répugnant, dans un jeu permanent du sens dessus dessous. Pourtant, le biographe florentin s'y attarde, risquant de réveiller ou valider bien mal à propos les tenaces stéréotypes de l'artiste extravagant, marginal et peu respectable solidement ancrés dans la mentalité collective, particulièrement depuis les nouvelles de Boccace et Bandello. Pourquoi prendre un tel risque dans un contexte artistique fragilisé et précisément tendu vers une quête de réhabilitation de l'image de l'artiste et de la chose d'art ? C'est ce que nous nous proposerons de ici, en montrant comment Vasari instrumentalise le récit pittoresque de l'apparente extravagance de ces banquets et de leurs convives pour inscrire à l'inverse ces manifestations dans les codes les plus attendus du bon aloi politique alors imposés par la nouvelle culture officielle de mise. Le cadre des banquets, les statuts des Confréries évoquées, la rigueur des règlements qui encadrent le déroulement de ces soirées de fêtes, le goût distingué pour les jeux de l'artifice, du paraître et du faux semblant, la maîtrise des plaisirs : toutes ces facettes de l'excentricité singulière de ces repas à thèmes et à malice seront en somme habilement renversées et agréées par Vasari comme autant de manifestations de la plus réglementaire, convenable et donc « graziosa » intellectualisation de la chose d'art. L'étrangeté signalée dans ces morceaux d'anthologie devra dès lors être reçue comme une sorte de manifeste gastronomique du Maniérisme naissant en ce début de XVIème siècle (les soirées décrites ayant lieu rappelons-le en 1512). Nous comprendrons en somme que dans le cadre clandestin de ces soirées privées, Vasari nous propose un avant goût des codes et topoi artistiques maniéristes que les académies florentines
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Dates et versions

hal-03517825 , version 1 (09-02-2022)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03517825 , version 1

Citer

Véronique Curvin Merieux. L'extravagance des banquets d'artistes florentins. Une garantie de bon aloi (Florence, 1512). Agnès Morini (dir.). Curieux personnages, PU Saint Etienne, coll. Voix d'ailleurs, p. 63-84, 2010. ⟨hal-03517825⟩
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