André Cadere. To begin art from scratch. A comment upon the conference in Louvain
André Cadere : recommencer l'art. Commentaire de la conférence de Louvain
André Cadere, Rozpocząć sztukę od nowa. Komentarz do konferencji z Louvain
Résumé
Starting from the text published in 1975 by André Cadere under the title Presentation of the work. Ways of its use, the second edition of Artists’ Documents in the Andrzej Pierzgalski Gallery presents the little known work of this artist in Poland. The document reproduced here does not replace the work nor is it equivalent of artistic practice: but at the same time it is not only something secondary, because it is also one of his ways of presenting his own art. The lecture given by the artist at the University of Louvain is not a theoretical construct sensu stricto, which his own artistic practice would be the creation of; its purpose was only to highlight the concepts and reflections naturally contained in his everyday practice of art. And the practice of Cadere opened a new way of creating and presenting art, the essence of which was to completely free it from institutions such as a gallery, museum or art centre. The method that allowed for this was based on the assumption that every use of this work is a way of its presentation. His art does not need any exhibition space other than the space in which he finds himself. The place containing the works was occupied by multi-colored sticks composed of segments, created according to a strictly defined system, whose placing was also an element of error. In this way, the work lost its privileged place as the centre of attention in the space, and its mission was no longer the narrative and aesthetic quality of the work, but to concentrate on the space in which it is presented. Cadere’s sticks do not need any pedestals or gallery walls, because each and any way they are used is also a full-fledged way of presenting them: they can be leaning against a wall, in a gallery or in any other space, placed on a table or on the floor, they can also be carried by the artist himself on the street, in the city, or in the spaces of any institution, or in a museum; they can also find a place for themselves outside the exhibition halls, without losing their sense or value, or even the opposite, gaining their proper meaning. This anthropological concept of art leaving the institutional framework in order to penetrate into everyday reality undermines the sociological conception still dominant in western society, according to which the "art world" institutions ultimately give the status of works of art to various objects. By depriving the institutions of such authority, Cadere became a kind of threat to them and was repeatedly met with brutal reactions from their part: he was often banned from entering the vernissage or even being asked to leave the space manu militari. But his art was not only an experimental provocation aimed at the institutions of art; it also proposed radically different economics, rejecting, among other things, the practice of artist's signature on the work itself, that is the key element of fetishization of the work of art as a commodity on the art market, replacing it with a certificate prepared by the artist, which included the code with all information about the given bar of wood and which was on the list that he kept.Based on these foundations, Cadere proposed a thorough rethinking of the experience of art in the context of the era in which he came to live. He was aware that the practice that he invented and implemented was inseparably artistic and political, and his critical attitude to the greatest extent concerned questions about the future of culture, which Cadere associated with the sphere of vision, the decisive experience of the era of advertising, television and the development of mass media. He liberated art from a narrow circle of art institutions, expanding the boundaries of the artistic field defined by the possibility of the cognition of reality through vision. "That's why vision, art, painting are in the forefront of ideological struggle," he said in Louvain, underlining the importance of the field of culture: "The work presented here," he said, "strays off the beaten track, allowing the nature of the place where it is located and the viewer who looks at it to be revealed."
Prenant appui sur le texte de la conférence, publié en 1975, Présentation d’un travail. Utilisation d’un travail, la deuxième édition des Documents d’artistes dans la Galerie dédiée à Andrzej Pierzgalski, présente le travail d’André Cadere, relativement peu connu en Pologne. Le document reproduit ici ne remplace pas l’œuvre et ne se substitue pas à la pratique artistique elle-même ; mais il n’est pas non plus accessoire, car il constitue l’une des manières de présenter son art. La conférence prononcée par l’artiste à l’université de Louvain n’est pas une construction théorique sensu stricto, dont la pratique serait une réalisation ; son but a été de mettre en valeur des concepts et réflexions naturellement implicites dans sa pratique quotidienne de l’art. Et la pratique de Cadere inaugurait, en effet, une nouvelle façon de faire et de présenter l’art, dont la différence spécifique était la libération totale de l’art par rapport aux institutions telles que la galerie, le musée ou le centre d’art. La méthode qui le rendait possible se résumait dans le principe selon lequel tout usage qui en est fait est en même temps une présentation de son art. Celui-ci n’avait donc pas besoin pour être présenté d’espaces d’exposition spécifiques. La place de l’œuvre s’est alors trouvée occupée par des barres multicolores, composées de segments et confectionnées selon un système rigoureux, dont l’erreur fut un des éléments. L’œuvre perdait ainsi sa place privilégiée au centre de l’attention et de l’espace, et sa mission ne consistait plus à porter des contenus narratifs ou des valeurs esthétiques, car elle devait attirer l’attention sur l’espace où les barres étaient présentées. Ces barres n’ont besoin ni de socles ni de cimaises, car tout usage qui en est fait est à la fois une façon légitime de les présenter : elles peuvent être appuyées contre le mur, dans une galerie ou dans n’importe quel autre espace, posées sur une table ou au sol, ou portées par l’artiste dans la rue ou dans l’espace d’une institution quelconque, fût-elle de l’art ; dans un musée, elles peuvent se trouver un espace en dehors des salles d’exposition, sans perdre le sens ou la valeur, voire – au contraire – en renforçant leur signification propre. Cette conception anthropologique de l’art qui quitte les cadres institutionnels, afin de pénétrer dans la réalité quotidienne, met en cause la conception sociologique qui domine encore dans nos sociétés occidentales, selon laquelle ce sont précisément les institutions de l’art qui accordent in fine le statut d’œuvres d’art à divers objets qu’elles exposent. En refusant ce pouvoir aux institutions, André Cadere est devenu pour elles une sorte de menace et a subi à répétition des réactions brutales de leur part ; on lui interdisait l’entrée aux vernissages, voire on l’en expulsait manu militari. Mais son art n’était pas qu’une provocation expérimentale tournée contre les institutions de l’art ; il proposait également une autre économie de l’art, en rejetant, entre autres, la pratique de la signature de l’artiste à même l’œuvre, qui est un moment clé de sa fétichisation comme marchandise, et en la remplaçant par un certificat établi par l'artiste qui comporte un code de classement incluant toutes les coordonnées de la pièce respective, code lui-même se référant au fichier qu'il tenait. S’appuyant sur ces éléments, Cadere a proposé de repenser de fond en comble l’expérience de l’art dans le contexte de son époque. Conscient du fait que la pratique qu’il a élaborée et qu’il mettait en œuvre était indissociablement artistique et politique, il interrogeait dans l’attitude critique l’avenir de la culture, dont il liait le destin avec la sphère visuelle, source d’expériences décisives à l’époque de la publicité, de la télévision et du développement hyperbolique des mass-media. Il a libéré l’art du cercle étroit des institutions pour élargir les limites du champ artistique défini par la capacité à connaître la réalité par le regard. « C’est pourquoi regard, art, peinture sont en butte à une lutte idéologique », dit-il à Louvain, en soulignant l’importance de la sphère visuelle pour la forme de la culture : son travail, affirme-t-il, « s’efface, laissant apparaître ce qu’est l’endroit où il se trouve, qui est le spectateur qui le regarde ».
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