Le racisme et l’histoire de l’art. Compte rendu : < Éric Michaud : "Les invasions barbares, une généalogie de l’histoire de l’art", Paris, Gallimard, coll. NRF Essais, 2015 >
Résumé
L’art est universel, mais son étude serait-elle une discipline implicitement raciste ? Comme toutes
les sciences sociales, l’histoire de l’art a jadis emprunté ses catégories interprétatives à la pensée
raciale. Habituée à classer, voire à hiérarchiser les peuples selon leurs traits physiques et
psychologiques, elle continue aujourd’hui à rapporter systématiquement les œuvres aux origines
de leurs auteurs. Le marché de l’art se fait ainsi l’arène d’une surenchère identitaire, où les plusvalues vont désormais aux productions labellisées « Black », « Latino », « amérindien »… Pour
comprendre comment la race est devenue ce facteur majeur dans l’interprétation des arts, il faut,
selon l’historien Éric Michaud, remonter au début du XIXe siècle. S’imposa à l’époque une idée :
les invasions barbares n’auraient pas seulement précipité la fin de l’empire romain, elles auraient
surtout régénéré l’art occidental par un apport de sang neuf, et divisé désormais les styles
artistiques nationaux selon les goûts des races dominantes. Quant aux Juifs, leurs moindres
contributions artistiques n’auraient pas tenu seulement à leur religion (qui interdisait depuis Moïse
toute représentation du vivant), mais plutôt à une origine sémite, et donc étrangère au fond
aryen ! Ce livre sans concessions nous conduit ainsi d’étonnements en consternations, en
découvrant tous les grands noms de philosophes ou d’historiens qui, de Johann Winckelmann à
Henri Focillon en passant par Hegel, ont relayé ces conceptions racistes voire antisémites de l’art.
Et le soupçon rejaillit fatalement sur la promotion contemporaine des artistes non-occidentaux,
des Inuits à Yinka Shonibare : est-on en fait jamais sorti du mythe des invasions barbares ? Une
lecture aussi érudite qu’édifiante.
Éric Michaud. Les inventions barbares. Une généalogie de l’histoire de l’art. Paris, Gallimard,
NRF Essais, 23 €