Penser l’individuation du sujet transcendantal grâce à la méthode analogique
Résumé
La méthode analogique élaborée et employée dans L'ILFI trouve sa légitimité dans une exigence spécifique que Simondon assigne à l'usage de l'analogie. En tant qu'opération logique, l'analogie n'est valide qu'en fonction d'une condition ontologique préalable correspondant à la relation que le sujet connaissant entretient avec l'être qu'il cherche à connaître. La condition est que cette relation soit elle-même d'ordre analogique, c'est-à-dire que l'opération d'individuation déterminant cet être soit analogue à l'opération de la pensée par laquelle le sujet le connaît. Autrement dit, d'un point de vue gnoséologique, la méthode analogique de Simondon propose de renouer avec l'idée selon laquelle « toute théorie de la connaissance suppose une théorie de l'être » et, en ce sens, la notion d'analogie remplit la fonction fondamentale d’articulation entre le logique et l'ontologique. La théorie de la connaissance de Simondon implique donc une ontologie qu'il qualifie de « précritique ». Cependant, la position de Simondon à l'égard de Kant nous apparaît plus subtile que cette expression ne le laisse entendre et recèle paradoxalement un héritage important pour une bonne compréhension du problème gnoséologique que pose sa théorie de l'individuation du sujet connaissant. En particulier, ce paradoxe est apparent dans l'usage que Simondon fait du terme « transcendantal » : d'un côté il remet en question l’opposition entre l'empirique et le transcendantal, d'un autre il conserve l'idée d'un sujet transcendantal. Notre objectif est de montrer que la fonction onto-logique de l'analogie permet de dissiper ce paradoxe.
Nous exposerons d'abord la confrontation de la position de Simondon avec l'argument transcendantal kantien, selon lequel la finitude de notre entendement implique l'impossibilité de connaître les choses en soi et nécessite que nous substituions à l'ontologie une analytique de l'entendement pur (la structure a priori de la subjectivité étant le forme véritable de l'objectivité des phénomènes). Or, nous mettrons en évidence que l'ontologie « précritique » de Simondon signifie en réalité moins d'ignorer ou de s'opposer à Kant, que de radicaliser la démarche critique en achevant de désusbstantialiser notre conception de la réalité. Nous clarifierons comment la méthode analogique permet cela.
Puis, à partir de là, nous montrerons qu'en mettant au jour les soubassements ontogénétiques des conditions a priori de possibilité de la connaissance, Simondon n'appelle pas à un abandon de la distinction kantienne du transcendantal et de l'empirique, mais qu'au contraire, il souscrit à la nécessité de tenir l'idée d'un sujet transcendantal comme « milieu des a priori », afin que reste possible l'affirmation d'une universalité en droit de la connaissance. Seulement, le maintien de cette idée se fait au prix d'une profonde transformation du rapport entre l'empirique et le transcendantal que Simondon ne conçoit plus de manière dichotomique, mais transductif, c'est-à-dire pensable grâce à la méthode analogique : le sujet transcendantal peut connaître non parce qu'il se trouve séparé du sujet empirique, mais parce que leur relation met régulièrement en crise la structure transcendantale de la subjectivité. En effet, c'est en raison de la remise en question perpétuelle de la structure psycho-sociale de notre esprit que l'acte de connaissance, c'est-à-dire de structuration analytique du contenu de nos pensées, s'avère nécessaire et universel.