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Chapitre D'ouvrage Année : 2018

Attentio practica : la flèche du temps à l’âge du faire

Yves Citton

Résumé

Le déploiement de l'écriture et de la pensée de Roland Barthes sur quatre décennies a frappé certains interprètes par sa trajectoire en forme de retournement. Dans un entretien récent, Jacques Rancière évoque un « énorme écart entre les deux Barthes », celui des Mythologies « qui cherche toujours à démystifier les images, à s'interroger sur ce qu'elles disent et ce qu'elles cachent, à les transformer en messages », et celui de La Chambre claire « qui, au contraire, sacralise l'image comme une sorte d'émanation même du corps qui se dirige vers nous » 1. Du jeune marxiste intransigeant au dénonciateur de toutes les arrogances dogmatiques, du théoricien du signe au romancier de la Vita Nuova, du structuraliste au post-structuraliste, on peut en effet multiplier les « tournants » qui ont scandé les évolutions de sa sensibilité et de son travail. Et pourtant, il serait également vrai de soutenir que, comme tout grand penseur, Roland Barthes n'a fait qu'approfondir une même intuition qu'on trouve déjà formulée avec une étonnante clarté dès ses tout premiers textes. C'est ce parti-pris de lecture qui va me retenir ici. Depuis « Plaisir aux classiques » (1944) jusqu'à ses dernières interventions, Barthes a soutenu, exploré, précisé, déplié une certaine conception de l'expérience esthétique et de la vie des oeuvres d'art, articulée par une dynamique attentionnelle dont l'article « Musica practica » (1970) donnera tardivement la description la plus essentielle. On en connaît la thèse centrale : l'écoute musicale tire sa plus grande intensité d'impliquer une participation active et créative, dont la performance instrumentale constitue le modèle. Autrement dit : l'interprétation musicale (celle de l'instrumentiste) donne la raison de l'interprétation littéraire (celle du lecteur ou du critique). Et cette raison tient à une certaine forme d'attention active-que j'intitulerai attentio practica en référence à l'article sur la musique-qui engage un rapport très particulier au temps et dont l'image de la flèche illustre merveilleusement les paradoxes anachroniques. Au-delà de la réflexion esthétique, cette attention pratique prend aujourd'hui de fortes résonances anthropologiques, en une époque qu'un ouvrage récent désigne élégamment comme un « âge du faire », dont les lieux les plus symptomatiques sont les « hackerspaces » et autres « fablabs ». Comment le Barthes esthète (littéraire, mélomane, pianiste amateur) nous aide-t-il à entrevoir les enjeux sociopolitiques, éthiques et presque éthologiques de l'attention humaine à l'époque de la numérisation intégrale de nos relations sociales et de nos subjectivités ? Telle est la question qui sera à l'horizon de mon propos. La flèche du plaisir Dans un texte bref mais saisissant de 1944, qui pose déjà les grandes lignes du mode de lecture pratiqué et promu au cours des quatre décennies à venir, Roland Barthes prône une lecture des Classiques orientée « par un dessein tout personnel »

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Dates et versions

hal-02912285 , version 1 (05-08-2020)

Identifiants

  • HAL Id : hal-02912285 , version 1

Citer

Yves Citton. Attentio practica : la flèche du temps à l’âge du faire. Barthes et la musique, 2018, 978-2-7535-7545-5. ⟨hal-02912285⟩
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