Donner un visage à la crise – Stefano Massini, Chapitres de la chute (2012)
Résumé
À rebours d’une certaine tendance des dramaturgies contemporaines qui, dans leur représentation générique de la crise actuelle, effacent ses attributs définitoires – temps, espace mais aussi personnages souvent privés de visage – afin de mettre en évidence les processus ayant mené à la situation économique qui est la nôtre (la pièce de Simon Grangeat, T.I.N.A. – Une brève histoire de la crise composée en 2011, est de ce point de vue exemplaire), Stefano Massini, dont l’œuvre relève majoritairement du courant du théâtre-narration particulièrement puissant en Italie ces dernières années, propose de donner un visage à la crise dans l’une de ses dernières pièces, Chapitres de la chute (2012). Celle-ci se présente en effet comme une « Saga des Lehman Brothers », sous-titre valorisant une approche moins politique qu’intime du sujet. De fait, l’auteur retrace dans sa pièce toute l’histoire de la famille Lehman en Amérique, de l’arrivée dans le port de New York de Henry Lehman, fuyant la pauvreté de la campagne allemande, le 11 septembre 1844 – Henry Lehman bientôt suivi de ses deux frères, Emanuel et Mayer qui vont contribuer au développement fulgurant de la petite échoppe de coton en Alabama et à sa transfiguration en une banque bientôt sise à New York – à la mort en 1969 de Bobbie Lehman, dernier rejeton de la famille à la tête d’un empire qui a encore de beaux jours devant lui. Si on a pu reprocher à Stefano Massini cette approche trop personnelle – au sens où elle est trop attachée aux personnes – de l’événement, qui le contraint par exemple à passer presque sous silence la faillite de Lehman Brothers qui intervient après la mort du dernier descendant des fondateurs de la firme, on aurait néanmoins tort d’affirmer trop rapidement – et trop facilement – qu’en adoptant la saga comme forme dramatique, Stefano Massini a renoncé à penser les enjeux politiques de la crise que nous connaissons encore aujourd’hui. Parce qu’elle fait le choix de la longue durée, Chapitres de la chute permet de comprendre autrement l’élaboration du mécanisme de notre système financier. On assiste en effet dans cette pièce aux choix qui sont faits, et qui sont souvent dictés par une exigence de rentabilité. En ce sens, l’humanisation qu’opère Stefano Massini, en donnant visage non pas strictement à la crise mais à ceux qui la font, participe d’abord et avant tout d’une responsabilisation. À partir d’analyses dramaturgiques approfondies mais aussi, peut-être, d’un commentaire de la mise en scène de cette pièce par Arnaud Meunier (Comédie de Saint-Étienne, 2013), cette communication se proposerait d’explorer cette représentation inédite de la crise sur la scène contemporaine.