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Communication Dans Un Congrès Année : 2016

Le concept d’exposome et la santé environnementale : communiquer pour se soustraire au temps extrinsèque vecteur de risques psychosociaux

Résumé

Cette communication s’inscrit dans l’axe 2 dans la mesure où elle a été motivée par l’envie d’appréhender la thématique des communications en situations de travail à partir du concept émergent d’exposome. Le terme « exposome » a été porté à la connaissance du grand public grâce à son apparition dans le projet de la loi santé du 14 avril 2015 porté par la ministre Marisol Touraine. Il est nommé dans l’article de loi : « I bis (nouveau). – L’article L. 2111-1 du même code « 5° Des actions de prévention et d’information sur les risques pour la santé liés à des facteurs d’environnement, sur la base du concept d’exposome ». Selon l’encyclopédie collaborative wikipedia, l’exposome est « un concept qui englobe la totalité des expositions à des facteurs environnementaux (c'est-à-dire non génétiques) que subit un organisme humain dès sa conception, et complétant l'effet du génome ». Ce concept a participé à l’émergence de nouveaux savoirs et de nouvelles pratiques et méthodes d’investigation dans le domaine de l’analyse des risques en matière de santé. Fondé sur des travaux scientifiques relevant de disciplines très variées (toxicologie, chimie, médecine, physique, métrologie, épidémiologie, et toutes les sciences liées à l’environnement, mais aussi psychologie, ergonomie, management, sciences cognitives, SIC), l’exposome outille la réflexion sur les expositions tout au long de la vie, questionne les approches traditionnelles des risques professionnels et a fortiori celles relatives aux risques psychosociaux intimement liés à toute une série de mutation ayant trait aux temporalités : nouveaux modes d’organisation du travail et du temps de travail ; articulation plus étroite des temporalités de la vie en et au-dehors du travail du fait d’injonctions à l’utilisation des TIC ; brouillage des frontières entre le temps de l’activité professionnelle et les temps qui la précède, la séquence, ou lui succède (formation, stage, apprentissage, chômage, congé maternité, congé parental, pré-retraite, retraite) ; complexification des régimes de présence au travail (intermittence, présentéisme, télétravail). Le concept d’exposome a été introduit par un médecin épidémiologiste britannique spécialiste du cancer, Christopher Wild, dans un article intitulé « Complementing the Genome with an “Exposome”: The Outstanding Challenge of Environmental Exposure Measurement in Molecular Epidemiology » paru en 2005 dans la revue Cancer epidemiology, biomarkers & prevention. Le Center of disease control and prevention s’est approprié le concept en tant que « mesure de toutes les expositions d’un individu dans sa vie en tant que celles-ci peuvent considérées comme des risques liés à la santé » (http://www.cdc.gov/genomics/public/features/exposome.html). Gary Miller et Dean Jones, médecins toxicologues rattachés à un laboratoire américain traitant de santé publique ont spécifié que le concept d’exposome ne devait pas se limiter aux risques liés à l’exposition à des toxiques, mais aussi intégrer les processus endogènes découlant des activités et du comportement de l’individu, son régime alimentaire par exemple, ainsi que l’interaction forcément singulière entre l’environnement et chaque corps humain, chaque corps réagissant d’une manière qui lui est propre (Miller, Jones, 2014). Le projet de recherche européen HELIX financé à partir de 2007 dans le cadre du septième programme-cadre de recherche et de développement technologique (FP7) se focalise quant à lui sur les risques environnementaux au début de la vie. L’exposome jouit d’un certain effet de mode au sens où il permet désormais de drainer des financements publics. Puisqu’il concerne toutes les expositions potentiellement liées à la santé et toutes les étapes de la vie humaine, l’exposome suppose de s’intéresser à une infinie variété de situations et de processus. C’est un concept pour lequel on est tenté d’inventer l’expression métaphorique de concept trou noir puisqu’il attire et happe les financements, les disciplines, et les chercheurs. Ce concept est le vecteur d’une interdisciplinarité féconde plébiscitée dans le domaine de la recherche médicale. Il n’a pas encore été saisi par les médecins et les inspecteurs du travail, les ergonomes et les managers de la santé et de la sécurité et les préventeurs qui déploient les stratégies censées limiter les risques professionnels. Il n’a a fortiori pas non plus été saisi par le grand public. Si le grand public méconnait l’existence de ce concept, les journalistes généralistes et leaders d’opinion en santé publique et en santé, sécurité au travail l’ont quant à eux snobé ou dénigré. Avatar d’une loi perçue comme imposée sans concertation par la puissance publique dans un contexte tendu dominé par le discours de maîtrise des dépenses publiques, l’exposome a été qualifié « d’usine à gaz ». Comme Laurie Faisandier l’a montré dans sa thèse de doctorat de médecine sur le développement de méthodes appliquées au réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles RNV3P (2011), la surveillance et la détection des problèmes de santé au travail potentiellement émergents dans un contexte de multi-exposition et de toxicité différée est extrêmement complexe. L’idée même de s’intéresser aux facteurs de risques et aux expositions sans se limiter à un périmètre précis, celui d’une période d’activité professionnelle, d’un métier, d’une tâche ou d’un environnement de travail a pu paraître saugrenue. Qui plus est, les métiers de la santé, sécurité au travail sont dominés par la culture du risque-zéro et l’idéal d’une information et réaction « en temps réel » sur les accidents au travail (Douyère, 2009). Le premier apport de cette contribution sera de montrer en quoi l’accueil dubitatif reçu par le concept relève d’une critique argumentée et avertie, mais illustre aussi une difficulté à penser les transformations du « régime d’historicité » en tant que modalité de conscience de soi d’une communauté humaine (Hartog, 2003). Cet accueil illustre aussi le primat de la vision managériale d’un temps chronologique et mesurable unique, d’un temps à optimiser, à organiser, d’un temps extrinsèque. Deux grands paradigmes s’affrontent en effet concernant le temps. D’un côté, il serait extrinsèque au sens où il s’imposerait aux hommes. Cette vision dominante est celle qui organise le travail dans un cadre juridique, avec une étanchéité des temps sociaux du travail et du hors-travail. Dans ce modèle actuellement dominant, le travail accélère le processus de vieillissement. L’autre paradigme, postule qu’il n’existe pas de temps universel et unique, mais une multiplicité de temps sociaux renvoyant à des métrologies différentes, à des « régimes d’historicité » différents, à des façons d’être au monde parfois mêmes contradictoires (Gurvitch, 1950, Halbwachs, 1950, Mercure, 1995). La deuxième partie de cette communication se concentre sur la valeur heuristique de l’exposome pour enrichir la réflexion sur les risques psychosociaux procédant de l’organisation du travail (porosité des frontières entre vies privée et professionnelle), de l’intensification des rythmes de travail, de méthodes de management qui mettent les dispositifs sociotechniques au service exclusif d’une quête de performance (Gléonnec, 2013). L’intensification du travail est une question éminemment temporelle, puisqu’elle génère une incapacité à produire du temps, une soumission au temps extrinsèque. L’exposome interroge les subjectivités temporelles. La sociologie du travail a pensé la porosité entre le travail et le hors-travail. Les liens territoires/santé ont été saisis pas les SIC à travers les réseaux de santé (Bourret). Les SIC peuvent aussi se saisir des liens temps/santé et des tensions entre logiques collectives et individuelles dans la gestion des risques psychosociaux à travers le concept d’exposome. Face à des risques psychosociaux directement liés à des modèles de communication et de management, à des injonctions à l’utilisation de systèmes d’information et de TIC, à une fragilisation des collectifs de travail (Salmon, 2010) et des « identités professionnelles incertaines » (Cordelier, Gramaccia, 2012), l’exposome peut contribuer à une réflexion sur les conditions sous lesquelles le travail peut produire des valeurs positives. Les ergonomes risquent d’enfermer l’activité dans l’ici et le maintenant, comme l’a montré l’ergonome Corinne Gaudart dans une HDR récente sur le temps, l’activité et la créativité, tandis que l’approche exposomique suppose une vision surplombante pour penser le rapport entre temps, activité et santé. L’exposome invite à penser la communication au travail comme l’une de ses dimensions créatives échappant au temps extrinsèque, aux prescriptions normatives et aux cadres des dispositifs techniques et a fortiori des outils numériques. Les communication au travail, écrites ou orales, normées ou informelles renvoient à l’idée que le temps n’est pas juste ce à quoi il faut s’adapter et s’ajuster et que les normes de communication existent pour contribuer à la performance, mais qu’elles peuvent être contestées, réévaluées, contournées, reformulées, réappropriées. Le temps gestionnaire et dominateur extrinsèque masque et rend invisible la créativité que les processus communicationnels injectent en permanence dans l’activité. Les situations de communication interpersonnelle au travail – même conditionnées par des dispositifs sociotechniques comme des systèmes d’information - ne sont jamais parfaitement « encapsulées et mises en processus dans le cadre des dispositifs normatifs et techniques associés aux rationalisations productives et cognitives, qui tendent à verrouiller l'organisation » (Bouillon, Maas, 2009, p.66). Révéler la créativité des activités de communication au travail qui participent à la revalorisation des identités professionnelles, à la dynamisation des collectifs de travail, suppose de changer le paradigme du temps, de le voir comme pluriel, long, qualitatif et intersubjectif. L’exposome oblige à penser le temps comme une construction subjective et sociale, et oblige à penser le temps comme une navigation entre passé, présent et futur. La tension entre l’expérience et les attentes, les projets qui supposent la recherche de solutions nouvelles appelle une réponse qui est communicationnelle, la capacité d’écrire une histoire (Tassel, Hartog, 2014), de faire histoire, de s’inscrire dans une histoire, de circuler dans les catégories du temps. La méthodologie employée pour traiter la médiatisation de l’exposome et sa valeur heuristiques sur les SIC est pluraliste. Elle emprunte tout d’abord à l’analyse dite cognitive des politiques publiques via le concept de « référentiels » qui incite à s’intéresser aux « représentations dont une société dispose et qu’elle construit en permanence [et qui] sont autant de référentiels constitués d’un ensemble de prescriptions qui donnent du sens à un programme politique en définissant des critères de choix et des modes de désignation des objectifs » (Muller, 2003, p.63). L’exposome serait un concept qui ne parviendrait paradoxalement pas à devenir un référentiel alors qu’il figure sur l’agenda politique. Une observation de type ethnographique a été réalisée pendant divers salons et journées d’études liées au domaine de la santé et de la sécurité au travail (Préventica, Pollutech, Expoprotection, Journées parlementaires de la santé et sécurité au travail, Journées d'études du pôle Santé & Société de Marne-la-Vallée). Attentifs aux discours délivrés par les conférenciers invités et aux réactions du public, nous avons aussi discuté de manière informelle avec des prescripteurs, médecins du travail ou simples préventeurs. Afin de comprendre comment le concept a été saisi par les leaders d’opinion, nous avons enfin procédé à une étude discursive sur un corpus de presse française quasi exhaustif et relativement limité. Nous nous sommes aussi appuyés sur un corpus de messages brefs publiés sur la plate-forme de micro-blogging twitter (Pélissier, Galezot, dir., 2013) via le hastag #exposome, une recherche exploratoire portant sur la loi-santé et l’analyse des publications d’une dizaine de personnalités-phares du monde de la recherche médicale et des politiques publiques de la santé.
201606ColSFSIC-Temporalites_Exposome2.pdf (756.55 Ko) Télécharger le fichier
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-02531746 , version 1 (03-04-2020)

Identifiants

  • HAL Id : hal-02531746 , version 1

Citer

Lucile Desmoulins, Christian Bourret. Le concept d’exposome et la santé environnementale : communiquer pour se soustraire au temps extrinsèque vecteur de risques psychosociaux. Temps, temporalités et information-communication, SFSIC, Jun 2016, Metz, France. ⟨hal-02531746⟩
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