L'héritage kantien de la conception deleuzienne du temps
Résumé
À la fin du deuxième tome de Cinéma, Deleuze affirme que « l’image-temps […] est “transcendantale“ au sens que Kant donne à ce mot ». Cette référence à l’idée kantienne de transcendantal est étrange dans la mesure où elle n’apparaît pas auparavant, et semble entrer en contradiction avec l’approche bergsonienne qui guide conceptuellement les analyses que Deleuze mène dans cet ouvrage. Notre objectif est d’élucider cette référence au transcendantal kantien concernant le concept d’image-temps dans Cinéma ; nous montrons que Deleuze joue le Kant de la Critique de la faculté de juger contre celui de la Critique de la raison pure en s’appuyant sur la singularité de l’expérience du sublime. En effet, avec le sublime il est question d’une expérience de ce qui ne peut être représenté et qui consiste en une affection particulière : non pas l’affection d’une matière, d’un donné, mais de la forme même de l’esprit. Or, la lecture que Deleuze propose de Kant consiste à mettre en évidence que cette forme de l’esprit est le temps lui-même. En ce sens, l’expérience du sublime serait l’expérience de la forme du temps et l’image-temps du cinéma serait à même de nous la procurer. De cette lecture deleuzienne, nous déduisons une remarque générale concernant la modification du sens du transcendantal qui ne désigne alors plus une structure mais une limite : l’expérience sublime de cette limite implique la découverte par le sujet de nouvelles possibilités, et révèle la limite comme une force transformatrice.