Grandeurs et vicissitudes dans le roman caribéen francophone : Pour une herméneutique de la fiction chez Raphaël Confiant
Résumé
Déployant les exploits historiques et mythiques d’un peuple des cours, des marchés et des ruelles, des mornes, des plantations et des usines, les romans de Raphaël Confiant enserrent imagination et mémoire dans une structuration romantique de l’espace où le grotesque, le laid côtoient le sublime, le féérique. L’univers varié de l’écrivain de la créolité ceint dans ses romans des destins de prostituées, de djobeurs, de conteurs, de négresses-matadors, de majors, de combattants du damier, de commandants, de géreurs, de coupeurs et de colons comme s’il s’agissait de dévoiler l’aporie du souvenir de l’Histoire d’un peuple à qui toute grandeur est niée dans l’éristique de la fiction. A la fois sociologue, chercheur, historien dans son atelier d’écriture engagée, Raphaël Confiant compose un art romanesque dans lequel la démesure se rencontre dans la créativité et l’hybridité linguistiques, l’esthétique, l’épique mais dans lequel l’architecture disparate, l’inachèvement et les artifices des événements forcent le fantasme torturé d’un texte créole émancipé. Considérant le tissu textuel dans son entier, la perméabilité entre le romanesque et le vrai, les liens entre littérature et mémoire resituent le mouvement de l’écriture vers des espaces douloureux mais fondateurs des sociétés créoles caractérisées notamment par la mise en relation du langage et des individus. L’imaginaire créolisé « d’antan » comme une résistance, une réponse aux dominations silencieuses imprègne le projet narratif. L’interpénétration des textes de fiction, de la Bible, des mythes et des textes fondateurs ainsi que le réemploi des substrats historiques et économiques dans les récits fictifs de Raphaël Confiant résonnent comme une reconquête anthropologique de l’Histoire présentée selon la pluralité des points de vue et des préoccupations afin d’en offrir une nouvelle lisibilité notamment grâce à la dérision, au rire et au blasphème. Enfin, comparant l’ambition du projet balzacien au monde en Œuvre chez Confiant, il conviendra d’explorer dans la fiction excès et « approche actualisée du passé » à travers la création de types, de cycles et de structures. Certaines constantes de l’ample Comédie inventée par Honoré de Balzac se retrouvent dans le modèle sériel historique qu’a construit l’écrivain Raphaël Confiant ; c’est pourquoi investissant les motifs attendus de manière originale afin de provoquer des effets de lecture, l’« œuvre-monde » créée par chacun dégage des structures aptes à véhiculer un effet d’unité et de grandeur.