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Article Dans Une Revue La Voix du regard : Revue littéraire sur les arts de l'image Année : 2007

Détournements du regard : Cannibal holocaust de Ruggero Deodato

Vincent Platini

Résumé

La réception et l'acceptation d'une oeuvre par le public se fondent aussi bien sur une rupture des normes esthétiques que sur un certain respect de ces règles. Entre contestation et confirmation, il s'agit de composer avec les habitudes de son auditoire. Le système de références esthétiques du spectateur se constitue par la distinction des langages quotidien et poétique ainsi que par l'expérience qu'il a du genre et de la tradition auxquels l'oeuvre se rapporte. Les institutions ont, dès lors, une influence majeure sur l'horizon d'attente. En validant un langage, en faisant entrer une oeuvre dans le circuit officiel, en l'autorisant à paraître ou en la censurant, en la couvrant de louanges ou en la traînant dans la boue, le système universitaire, la critique et autres « tribunaux » informent l'expérience du spectateur. Certains produits culturels passent outre ces recommandations et leur réception, hétérogène, se compose d'un rejet institutionnel et d'un assentiment public. C'est le cas classique des films de « mauvais genre » tels que les pornos ou le gore. S'attirant aussi bien les faveurs populaires que les foudres des tribunaux, Cannibal holocaust de Ruggero Deodato (1979) fournit un parfait exemple de succès sulfureux. Profitant du développement du gore au début des années 1970, le film paraît alors que le public est demandeur de peur et d'horreur, à une époque où les maîtres de l'angoisse italiens comme Bava ou Argento avaient remporté leurs premiers succès, bientôt suivis par des cinéastes plus sanglants (Lucio Fulci, Joe d'Amato, Umberto Lenzi). Cet avatar du cinéma bis italien acquit cependant un statut de film culte qui dépassa le cercle des amateurs d'hémoglobine et de série B. Souvent cité aux côtés des classiques de l'horreur, il eut aussi une influence avouée sur des films à succès tel The Blairwitch project à notre époque. Le retentissement ne fut pourtant pas synonyme de reconnaissance. Tout fut mis en oeuvre pour dissuader le spectateur de visionner cette monstruosité. Deodato, convoqué par le tribunal de Milan, dut prouver que les acteurs n'avaient pas été décimés pour les besoins du tournage ; Cannibal holocaust fut finalement interdit, à cause de la représentation de massacres d'animaux. Le film fut saisi par la justice italienne une dizaine de jours après sa sortie et ne fut autorisé qu'en 1984 à la suite d'un long procès. Il fut également interdit dans les cinémas britanniques pour ne ressortir qu'en 2001, sans scènes de cruauté envers les animaux ou de violences sexualisées. Prohibé en RFA, il est désormais disponible en Allemagne dans une version très édulcorée. Si l'Australie, en 2005, a autorisé le film pour les plus de 18 ans, l'interdiction demeure dans des pays comme la Finlande, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud. Encore banni de nombreux états américains, il parut de nouveau en 2004 en une édition DVD non censurée pour les personnes majeures. Quant à la France, elle connut en 1981 une version censurée, interdite dans les salles aux moins de 16 ans, et l'édition DVD de 2006, sans coupures, est interdite aux mineurs. Les institutions cinématographiques eurent également la dent dure. Bien que rendus célèbres par ce film, le réalisateur comme les acteurs, stigmatisés, ne sortirent jamais de la jungle du cinéma bis. Quant à la critique, elle ne voulut en aucun cas se commettre avec cette infamie. Même les spécialistes de l'horreur répugnent à traiter de cette oeuvre. Philippe Rouyer n'y consacre que quelques lignes de son étude et n'hésite pas à placer Cannibal holocaust au rang des « films putassiers 1 » qui outrepassent les bornes du gore. La critique spécialisée a habituellement un discours plus indulgent à l'égard de ce cinéma, attendrie qu'elle est par le dilettantisme et l'artisanat d'un grotesque aux budgets misérables. Ici, l'unanimité se fait pour éviter que le public n'entre en contact avec cette horreur. Alors que le film rencontre un certain succès, il faut en protéger le spectateur. Le
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Dates et versions

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  • HAL Id : hal-01773593 , version 1

Citer

Vincent Platini. Détournements du regard : Cannibal holocaust de Ruggero Deodato. La Voix du regard : Revue littéraire sur les arts de l'image, 2007. ⟨hal-01773593⟩
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