Troubles dans les adelphies proustiennes : l'institution piégée
Résumé
Au carrefour de la vie privée et de la vie publique, articulant le jeu des affects et des institutions, la fratrie offre au romancier un riche terreau d'observations, autant qu'un commode instrument pour structurer, par un jeu subtil de ressemblances et de différences, le réseau des personnages. La fratrie plonge la relation humaine dans l'archaïque. Avant d'avoir des amis, des alliés, chacun peut faire l'expérience du lien ou du conflit avec des frères et des soeurs. Proust, romancier des fratries, ne se contente pas de représenter des normes : il les investit de sa propre fantasmatique. Cette étude voudrait montrer combien les clivages qui traversent la sexualité (oppositions entre les deux sexes, entre la norme hétérosexuelle et les transgressions homosexuelles, entre Sodome et Gomorrhe) gauchissent l'idéal partagé de la concorde adelphique. Dans cette perspective, trois noeuds relationnels sont successivement analysés : les relations entre frères, où le spectre de l'homosexualité ne cesse de recomposer le kaléidoscope de la distinction et de la confusion entre les « mâles » ; puis les relations entre soeurs, considérées depuis le point de vue de l'amant hétérosexuel jaloux, qui voit la douceur maternelle de la soeur s'inverser en furie lubrique, les soeurs s'aimant elles-mêmes d'un inconcevable amour ; enfin, les relations frères / soeurs sont quant à elles travaillées par les tensions que suscite la compétition entre les sexes. Le roman vise à porter les points de friction à leur intensité maximale, pour en révéler la fécondité romanesque ; mais il indique aussi des possibilités d'apaisement ou de régulation. La logique de ces solutions imaginaires risque cependant de dérouter le lecteur.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)