« “L’amour n’est pas aimé” : Proust lecteur de Musset » - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2012

« “L’amour n’est pas aimé” : Proust lecteur de Musset »

Résumé

Dans la Correspondance de Proust, le fait de citer Musset relève d'usages sociaux assez variés, certains étant franchement humoristiques ; mais citer Musset revient aussi à faire valoir les droits et la pertinence heuristique de ce que Barthes nommait « le discours amoureux », entendu au sens d'un discours épris de son objet, qui aime à parler d'amour précisément parce que l'amour est reconnu comme chemin de vérité. Le second massif par lequel aborder la place de Musset dans l'oeuvre de Proust est évidemment celui de la critique littéraire : la question décisive de savoir si Musset est ou non un « maître », un poète de premier ou de « second ordre » (CSB, 633) ne peut se poser avec pertinence que si l'on admet que Musset est bel et bien le poète de l'amour. Destituer la poésie de Musset de cette ambition, à quoi se mesure sa prétention véritative, c'est se condamner à le juger à faux, en surévaluant ce que Proust tient pour des aspects sinon insignifiants, du moins secondaires, de la poésie de Musset. C'est à l'oeuvre romanesque qu'il revient de formuler la question la plus pressante qu'on puisse adresser à une oeuvre d'art : dans quelle mesure est-elle capable de dire quelque chose de vrai sur la vie ? Quelles ressources la poésie de Musset met-elle à la disposition de celui ou celle qui, une fois le livre fermé, s'apprête à vivre dans la réalité et non plus dans l'imagination ? Pour Proust comme pour son héros, Musset demeure le poète de l'enfance, de la prime adolescence ; il est celui par qui advient la question à la fois naïve et radicale d'un usage existentiel de la poésie. C'est alors qu'éclate le paradoxe. Dans le sillage même de celle de Musset, l'oeuvre de Proust légitime l'existence d'une éthique de la relation littéraire. Elle rejette une approche strictement formelle de la poésie ; mais elle n'en cantonne pas moins Musset l'initiateur dans les marges de La Recherche : or ces marges sont pour l'essentiel d'ordre social. Étrange destin que celui d'une oeuvre poétique dont la lecture, dans La Recherche, se voit presque réservée aux invertis et aux illettrés. Sous-tendue par la question de l'amour et du devenir des affects, la lecture de Musset par Proust éclaire Musset autant que Proust. Ce dernier n'est guère original quand il souligne, et non sans quelque raison, les faiblesses esthétiques d'un « poète lâché et diffus comme celui du Pélican ». Mais c'est lorsqu'il se mesure à une dimension plus idéologique de la poésie de Musset, à cette rhétorique des passions qui exalte la possibilité offerte aux énergies affectives de rencontrer et peut-être de transcender le réel, que Proust saisit le mieux la nature de l'engouement populaire que suscite Musset. Cette fascination de l'âge démocratique pour ce prophète de l'affect, Proust l'analyse, la comprend parfois, rarement la partage, et souvent s'en méfie. Limite de Musset, poète inabouti, qui n'a pas su inventer la forme à la hauteur de sa pensée de l'amour ? Ou limite de Proust, lecteur de Musset ?

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  • HAL Id : hal-01675997 , version 1

Citer

Stéphane Chaudier. « “L’amour n’est pas aimé” : Proust lecteur de Musset ». Gisèle Séginger (dir.). Poésie et vérité, éditions Honoré Champion, p. 63-84, 2012, coll. "Romantisme et modernités", 9782745323699. ⟨hal-01675997⟩
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