“Temps pris” : du texte dérisoire au discours sensible
Résumé
Le héros sans patronyme de "Temps pris" est un pauvre "bureaucrate" : une nouille. En rentrant
du travail, il reçoit un "paquet de linge sale de famille" : "il écouta et entendit que son propre père faisait
avec sa petite femme ce qu'encore nous appelons des trucs et des machins et que nous trouvons de la
dernière gravité". Nouille ne sait pas réagir : il est dépassé par son malheur. Le silence du personnage
naît de son incompétence langagière. Un tel silence s'oppose à la loquacité héroïque. Il est le signe d'un
tragique sans prestige : "le fils ne se décidait pas à parler en phrases sonores". Selon un procédé éprouvé
du récit naturaliste, "Temps pris" inverse le schéma tragique de Phèdre en le transposant dans l'univers
de tout petits employés. Le père n'est pas noble ; c'est un séducteur dénaturé. Le chef de famille est un
fils soumis dépourvu de virilité, à la fois privé de descendance et incapable de rendre justice à son épouse
outragée. La découverte de l'indignité paternelle interrompt le flot de phrases toutes faites du pauvre
Nouille1. Les clichés dont il s'abreuve signifient la misère, la nullité du personnage, mais aussi le regard
critique et la désinvolture du narrateur envers cette pauvre créature2. Toutefois l'expression de la
dérision ne constitue pas à elle seule tout le plaisir de la lecture de "Temps pris". Lorsque le héros de
"Temps pris" transforme une liste de commissions en une phrase qu'il se récite d'une voix "réellement
caressante", ce discours, solipsiste mais enfin authentique, introduit au coeur de la nouvelle la possibilité
d'une autre écriture populiste : le discours sensible.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)