« Bourget et l'idée de révolution littéraire »
Résumé
La littérature est de la politique continuée par d’autres moyens ; le Romantisme, cette révolution
littéraire, prolonge dans les esprits l’oeuvre politique de la révolution de 1789 et de l’Empire.
Telle est du moins la conviction de Bourget ; cette thèse fait la force de son oeuvre ; elle unit
son versant critique à son versant romanesque. Je m’en tiendrai, pour le montrer, à un exemple
frappant : dans les Essais de psychologie contemporaine, le chapitre sur Flaubert (écrit en
1882), et qui est l’un des joyaux du recueil, contient une analyse pénétrante de la révolution
romantique ; or cette analyse éclaire Le Disciple, le roman le plus célèbre de Bourget, paru sept
ans plus tard, en 1889. En 1882, Bourget ne pense pas encore que son oeuvre soit l’antidote de
ce qu’il estime être le poison révolutionnaire ; mais tous les arguments sont là, qui ne demandent
qu’un subtil infléchissement pour servir la thèse « réactionnaire ». « Thèse » : le mot est lancé
qui discrédite durablement l’oeuvre de Bourget ; l’intérêt des universitaires, dont témoigne un
récent colloque1, n’y fait rien. On ne lit guère Bourget. On ne pardonne pas à l’écrivain de ne
faire qu’un avec ses idées ; on juge celles-ci détestables. Bourget est-il condamné à n’être qu’un
objet historique ? Un paradoxe critique bien établi pourrait le sauver : il suffirait de montrer
qu’à l’instar des plus grands – Balzac ou Proust – Bourget n’écrit pas l’oeuvre qu’il croit ; que
l’écriture déborde la théorie dont elle se réclame. On réintroduirait l’incohérence, la complexité
de la vie, dans cette oeuvre de doctrine. Je propose de suivre une autre voie : l’intérêt de l’oeuvre
Bourget tient à ce qu’elle s’assume comme oeuvre de pensée. Elle recherche l’infaillibilité du
système. Peu importe qu’elle y parvienne ou qu’elle échoue, et peu importe sa valeur de vérité ;
l’ambition intellectuelle de Bourget gagne à être considérée comme l’expression d’un
imaginaire. On peut montrer alors comment cette oeuvre sait susciter de nouvelles questions au
coeur des problèmes qu’elle prétend résoudre. En cela, elle relève d’une dynamique qui est celle
des arts de la pensée.
Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)