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Communication Dans Un Congrès Année : 2015

QU'EST-CE QUE L'IDEE D'UN CORPS MALADE ?

Éric Delassus

Résumé

La proposition XIII de la troisième partie de l'Éthique expose de la manière suivant en quoi consiste l'esprit pour Spinoza : L'objet de l'idée constituant l'esprit humain est le corps, autrement dit une manière de l'Étendue précise et existant en acte. Cette conception de l'esprit comme « idée du corps » m'a donc conduit à m'interroger sur ce que peut être l'idée d'un corps malade. Autrement qu'en est-il de l'esprit de celui dont le corps est malade, si précisément cet esprit est l'idée de son corps ? Cet esprit est-il conta-miné par ce corps qui constitue son objet ? Ou est-il possible, malgré la maladie du corps de conserver un « esprit sain », un esprit capable de penser ce corps avec suffisamment de clarté et de distinction pour pouvoir vivre la maladie sans ajouter aux souffrances que celle-ci induit, d'autres souffrances qui pourraient résulter d'une représentation inadéquate du corps. En effet, il arrive fréquemment que le malade, écrasé par le sentiment d'absurdité que lui inspire sa maladie, produise des représentations de celle-ci, autrement dit de son corps ma-lade, qui augmentent sa douleur plutôt qu'elles ne l'apaisent. C'est le cas lorsque la maladie est perçue comme une malédiction, une injustice ou une punition. Le non-sens de la maladie donne souvent lieu à une quête désespérée de sens qui, le plus souvent, augmente plus la souffrance qu'elle ne l'apaise, dans la mesure où elle donne lieu à ces représentations inadé-quates du corps qui font que les affections qui diminuent la puissance du corps s'expriment par des affects de tristesse qui augmentent l'affaiblissement de l'individu qui les ressent. La question est donc de savoir si ces idées inadéquates du corps sont inévitables ou s'il est possible d'aider le malade à penser son corps avec lucidité et de telle sorte que son esprit de-vienne suffisamment puissant pour affronter la maladie sans y ajouter des souffrances inutiles. Pour bien comprendre les sens de la proposition de Spinoza citée plus haut, il convient de la commenter et de préciser le contexte philosophique dans lequel elle a été pensée. C'est, en 1 effet, en réponse au dualisme cartésien que Spinoza développe cette conception de l'esprit. Descartes a bien perçu que l'esprit n'était pas totalement séparé du corps et qu'il n'était pas présent dans le corps « tel un pilote en son navire », comme il le souligne dans la sixième méditation métaphysique, lorsqu'il précise que les affections du corps comme la faim, la soif ou la douleur ne laissent pas l'esprit indifférent et l'affecte également. C'est à partir de ce constat qu'il va développer dans son Traité sur les passions de l'âme la thèse selon laquelle une passion est toujours la conséquence d'une action du corps sur l'âme que seule la volonté, qui est force d'âme, peut vaincre en renversant ce rapport. Cependant, pour que cette théorie des passions soit complète, il est nécessaire d'expliquer comment est possible l'interaction de l'esprit et du corps. En effet, si comme le pense Descartes corps et esprit participe de l'étendue pour l'un et de la pensée pour l'autre, on voit mal comment deux substances aussi hétérogènes, l'une matérielle, l'autre immatérielle ou spirituelle, peuvent agir l'une sur l'autre ; et la solution de la glande pinéale à laquelle recourt Descartes ne convainc personne, pas même, probablement, son auteur. C'est ce qui fait dire à Spinoza, dans la préface de la troisième partie de l'Éthique, que Descartes n'a rien montré d'autres par cette théorie des passions que « la pénétration de son grand esprit ». Aussi, pour résoudre cette difficulté, Spinoza va-t-il proposé une solution tout à fait originale, pour ne pas dire révolutionnaire pour l'époque, celle selon laquelle il n'y a pas deux substances, mais une seule ; ce qui, par conséquent, signifie que corps et esprit ne sont plus qu'une seule et même chose, mais perçue de deux manières distinctes, de telle sorte que nous avons l'illusion qu'elles sont séparées. L'esprit est donc « l'idée du corps », c'est-à-dire le corps perçu selon ce que Spinoza nomme l'attribut de la pensée. Pensée et étendue, ou pour employé un autre vocabulaire que celui de Descartes et de Spinoza, matière et esprit, ne sont donc plus deux substances distinctes, mais deux attributs d'une seule et même substances, c'est-à-dire deux perceptions distinctes de celle-ci. Autrement dit, il n'y a qu'une seule réalité que nous percevons de deux manières différentes, et cela vaut aussi pour notre propre corps. Chacun de nous se perçoit, soit comme corps, c'est-à-dire comme une réalité matérielle et spatiale, soit comme esprit au travers des affects qui ne sont autre que les idées plus ou moins claires des affections du corps (cf. Éthique III, définition III) ; car il convient de le préciser ici, si l'esprit est idée du corps, il n'est pas idée du corps en général, du corps objet, mais tout esprit singulier est l'idée d'un corps singulier. Autrement dit, l'esprit d'un individu est toujours l'idée de son corps, l'idée de ce que l'on appellerait aujourd'hui le corps propre. Ainsi, la relation corps-esprit n'est plus de l'ordre de l'interaction. Comme le précise la proposition II de la troisième partie de l'Éthique : Ni le Corps ne peut déterminer l'Esprit à penser, ni l'Esprit le Corps au mouvement ou au repos ou à quelque autre manière d'être que ce soit (s'il en est quelque autre).

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Citer

Éric Delassus. QU'EST-CE QUE L'IDEE D'UN CORPS MALADE ?. Le corps, la santé, la médecine, COSHSEM, Jun 2015, Lyon, France. ⟨hal-01170340⟩

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