Variations articulatoires en début de constituants prosodiques de différents niveaux en français - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Thèse Année : 1998

Articulatory variation at the begining of prosodic constituants in French

Variations articulatoires en début de constituants prosodiques de différents niveaux en français

Résumé

This study reports on how what is usually called &&segmental'' articulation may be a!ected by prosodic structure. Articulatory properties of segments of various types are compared in initial position of four prosodic constituents in French: an Intonational Phrase, an Accentual Phrase, a Word and a Syllable. Modi"cation of linguopalatal contact, nasal flow, acoustic measures of glottal articulation, as well as durational properties of segments are examined depending on these prosodic positions. Results show that the articulation of initial segments varies according to the prosodic level of the constituent. Initial segments in higher prosodic domains tend to have more linguopalatal contact, somewhat less nasal #ow for nasals, and vowels tend to be more frequently glottalized than in initial position in lower domains. The magnitude and the realization of the articulatory modification observed in these positions is found to depend on speakers, articulators, and segment types. However, the regular trend observed suggests that these articulatory properties can re#ect the prosodic encoding of constituents of various levels within utterances.
« Variations articulatoires en début de constituants prosodiques de différents niveaux en français » Cécile Fougeron Ce travail se place dans un cadre de recherche sur les relations entre la composante suprasegmentale et la composante segmentale de la parole. Je cherche à comprendre comment la structuration prosodique d'un énoncé peut influencer la façon dont un locuteur articule les segments qui le composent. Dans la structure prosodique d'un énoncé deux positions particulières se distinguent : la position sous l'accent et la position par rapport aux frontières de constituants. Ces deux positions peuvent être marquées phonétiquement par des variations de plusieurs paramètres suprasegmentaux comme, par exemple, la fréquence fondamentale et la durée. Elles peuvent aussi être marquées par des variations articulatoires segmentales. Dans ce travail, je m'intéresse plus particulièrement à une des positions frontières : la position initiale dans un constituant. Plusieurs études ont montré qu'au niveau du Mot ou de la Syllabe, les segments en position initiale subissent des modifications articulatoires qui leur permettent de se distinguer des segments en position médiane ou finale. Par exemple, la constriction de la langue sur le palais, l'élévation du velum ou l'ouverture de la glotte sont plus importantes pour des segments en début de Mot ou de Syllabe. Plus récemment, quelques études ont montré que l'articulation d'un segment initial varie aussi en fonction de sa position dans des constituants d'un niveau supérieur au Mot, comme le Groupe Accentuel ou le Groupe Intonatif. Ces variations articulatoires sont du même type que celles relevées au niveau du mot ou de la syllabe mais leur amplitude est plus importante dans les constituants supérieurs. Par exemple, le degré de contact linguopalatal d'un segment est plus important au début d'un Groupe Intonatif qu'au début d'un Mot. L'étude que je présente ici s'inscrit dans cette ligne de recherche. J'examine l'effet de la position d'un segment dans un constituant prosodique, que j'appelle la "position prosodique", sur son articulation. Je cherche à déterminer si en français les variations articulatoires des segments initiaux marquent le début de plusieurs types de constituants, notamment des constituants d'un niveau supérieur au Mot, et si ces variations reflètent la hiérarchie des constituants. La position initiale dans le Mot semble avoir un statut linguistique particulier. Dans cette position, les segments sont caractérisés par un résistance particulière aux réductions tant sur le plan diachronique que sur le plan synchronique. Ces caractéristiques ont amené certains à qualifier la position initiale dans le Mot comme une position "forte". Cette notion de force a été aussi appliquée à la position sous l'accent. Il est vrai que si l'on compare les variations articulatoires marquant ces deux positions, initiale et sous l'accent, des similitudes apparaissent. Elles ressemble aussi aux variations articulatoires observées pour des segments décrits comme "forts" ou "fortis" et à celles observées en parole "renforcée". Ces variations ont été décrites comme un renforcement articulatoire (Straka 1963) qui se définit comme une augmentation de la contraction musculaire. Il s'agit alors de comprendre en quoi consiste les variations articulatoires en position initiale : si elles peuvent résulter d'une augmentation locale de la contraction musculaire en position initiale, et si ce renforcement articulatoire augmente graduellement en fonction du niveau du constituant. METHODE (Chapitre II) : Dans cette thèse, j'examine l'articulation de consonnes et de voyelles françaises placées à cinq positions prosodiques différentes : en début de Phrase (Pi), en début de Groupe Intonatif (GIi), en début de Groupe Accentuel (GAi), en début de Mot (Mi), et en début de Syllabe (Si). Ces positions sont illustrées pour le segment test /n/ dans les phrases suivantes, de la position initiale dans le constituant le plus haut à la position initiale dans le constituant le plus bas : - Pi : "Paul aime Tata. Nadia les protège en secret." - GIi : "La pauvre Tata, Nadia et Paul n'arriveront que demain." - GAi : "Tonton, Tata, Nadia et Paul arriveront demain." - Mi : "Paul et Tata-Nadia arriveront demain matin." - Si : "Tonton et Anabelle arriveront demain matin." J'utilise le terme "position prosodique" car ces positions sont définies suivant des critères prosodiques tels que la présence d'une pause, le degré d'allongement final et le contour intonatif de la syllabe précédente. Je ne cherche pas à comparer dans cette étude la structure prosodique à la structure syntaxique. L'articulation linguale est examinée par la quantité de contact de langue sur le palais (contact linguopalatal) tel qu'il est mesuré par l'électropalatographie (EPG). L'articulation nasale est étudiée indirectement par une mesure du débit d'air nasal pendant les segments nasals. La glottalisation des voyelles initiales est mesurée sur les données acoustiques. Deux autres paramètres acoustiques sont examinés : la durée des segments et l'énergie des sonnantes. La comparaison des variations de ces paramètres en fonction de la position prosodique se base sur la production de deux locuteurs pour l'expérience EPG et de quatre locuteurs pour l'expérience de débit d'air. L'effet de la position prosodique est évalué pour plusieurs types de segments. J'examine le degré et la répartition du contact linguopalatal pour les occlusives orales /t/ et /k/, l'occlusive nasale /n/, la liquide latérale /l/, la fricative /s/ et la voyelle fermée /i/. Pour l'articulation nasale, j'observe la quantité et l'étendue de la nasalisation pour la consonne nasale /n/ et la voyelle nasale //. Tous ces segments sont l'élément initial d'une syllabe CV ou VC. J'examine également les variations articulatoires dans un groupe de consonnes /kl/ et une syllabe /na/ afin de déterminer si l'effet de la position prosodique est un effet local limité au segment initial ou s'il affecte aussi le second membre du groupe initial (/l/ dans /kl/ et /a/ dans /na/) et la coordination entre les deux membres. RESULTATS (Chapitres IV et V) : Dans une première partie, je présente les variations de l'articulation linguale pour les consonnes initiales /t, k, n, s, l/ d'une syllabe CV et la voyelle initiale /i/ d'une syllabe VC. Les résultats montrent que leur articulation linguale est fonction de la position prosodique. Pour tous ces segments, le degré de contact linguopalatal tend à augmenter progressivement en suivant la hiérarchie des constituants : les segments placés au début d'un constituant supérieur ont un degré de contact linguopalatal plus important que ceux placés au début d'un constituant inférieur. Le nombre et la nature des positions prosodiques distinguées par cette variation articulatoire sont fonction des locuteurs et des consonnes étudiées. Pour les occlusives /n/, /t/ et /k/, l'augmentation de contact linguopalatal en début de constituant supérieur se traduit par un élargissement progressif de la surface de l'occlusion, vers l'avant du palais pour /k/ et vers l'arrière du palais pour /t/ et /n/. Celui-ci s'accompagne d'un allongement de la durée de l'occlusion linguale. Ces deux caractéristiques, spatiale et temporelle, de l'articulation linguale ne sont pas indépendantes mais la variance de l'une ne prédit pas plus de la moitié de la variance de l'autre. Deux à quatre niveaux de constituants prosodiques sur cinq se distinguent par ces variations articulatoires de la consonne initiale. Pour la fricative /s/, l'effet de la position prosodique est beaucoup moins net que celui observé pour les occlusives. En début de constituant supérieur, les variations articulatoires de /s/ se traduisent généralement par une augmentation du contact dans la région antérieure du palais, un rétrécissement du chenal fricatif et/ou une avancée de la position du chenal fricatif. Toutefois, ces caractéristiques distinguent des positions différentes en fonction du locuteur, et seuls deux niveaux de constituants sur cinq se démarquent (un niveau inférieur et niveau supérieur). Pour la liquide latérale /l/, la variation articulatoire en début de constituant supérieur se traduit par une augmentation du contact au niveau de l'occlusion alvéolaire centrale et par une perte de l'asymétrie des contacts latéraux, permettant la distinction entre trois niveaux de constituants sur quatre. Pour la voyelle initiale /i/, j'observe également une augmentation de contact linguopalatal en début de constituant supérieur, qui reflète une augmentation de l'élévation et/ou de l'antériorité de la langue. Cette variation ne distingue que le début de Mot des positions supérieures (GAi-GIi). Cependant, les caractéristiques spectrales de la voyelle /i/ indiquent qu'il existe une variation articulatoire progressive entre les positions Mi, GAi et GIi qui se traduit par une augmentation progressive de F3. A l'aide d'une simulation articulatoire, je suggère que l'élévation de F3 résulte d'une diminution de l'influence labialisante des consonnes environnantes (/pip/) sur la voyelle en début de constituant supérieur. L'examen du groupe de consonnes /kl/ et de la syllabe /na/ placés au début de constituants de différents niveaux montre que l'effet de la position prosodique est essentiellement un effet local. Il affecte l'articulation du segment initial absolu (/k/, /n/) mais pas celle du segment suivant. L'articulation de la seconde consonne du groupe /kl/ (/l/) n'est pas affectée par la position prosodique du groupe tant dans ses caractéristiques spatiales (degré de contact) que temporelles (durée de l'occlusion). La coordination temporelle entre l'occlusion postérieure de /k/ et l'occlusion antérieure de /l/ n'est pas non plus affectée par la position prosodique. En position supérieure, la durée totale du groupe augmente et l'intervalle entre les deux gestes est plus long, mais leur déphasage est stable : l'occlusion de /l/ apparaît toujours dans la même proportion par rapport au début de l'occlusion de /k/. Néanmoins, les quelques cas de chevauchement et de double occlusion que j'observe, apparaissent plus fréquemment en début de constituant inférieur qu'en début de constituant supérieur. Pour la voyelle de la syllabe initiale /a/, l'effet de la position prosodique de la syllabe est examiné indirectement à partir de ses caractéristiques spectrales (F1/F2). J'observe quelques variations isolées en fonction de la position prosodique mais elles ne suivent pas la hiérarchie des constituants et semblent être associées à des positions particulières. Dans une seconde partie, je présente les variations de débit d'air nasal pour /n/ et // placés en position initiale dans les différents constituants. Pour la consonne /n/, seule la position supérieure GIi se distingue clairement des autres positions par un débit nasal plus faible pour trois locuteurs sur quatre. Quelques variations entre les positions inférieures laissent à penser que ces variations de débit ne sont pas uniquement la conséquence de la présence d'une pause en position GIi. Pour la voyelle /A$/, un effet de la position prosodique est observé pour deux locuteurs sur quatre. Les variations suivent la même direction que celles observées pour /n/ : le débit nasal de la voyelle // diminue au début de constituant supérieur. Deux ou trois positions se distinguent par cette variation en fonction du locuteur. J'interprète la diminution du débit d'air nasal en position initiale dans un constituant supérieur comme une diminution de l'aperture de l'orifice vélopharyngé et une augmentation de l'élévation du velum. Dans une troisième partie, j'examine si l'effet de la position prosodique se manifeste sur le plan acoustique. Je ne cherche pas à trouver les corrélats acoustiques des diverses variations articulatoires observées, mais j'examine les modifications de quelques paramètres acoustiques pour lesquels des variations ont été observées en fonction de la position prosodique, dans la littérature. La durée acoustique des segments initiaux est affectée par la position prosodique mais les variations ne suivent que partiellement la hiérarchie des constituants prosodiques. Seule une position se distingue nettement des autres par un allongement initial : le début de Groupe Accentuel. Pour l'énergie acoustique des consonnes sonnantes /n/ et /l/, l'effet de la position prosodique est très variable en fonction des locuteurs. Toutefois, la variation la plus régulière est une augmentation de la distinction en terme d'énergie acoustique entre la consonne et la voyelle suivante, en début de constituant supérieur (GIi) par rapport au début de mot. Dans ces cas, la consonne devient plus "saillante" en terme d'énergie dans la syllabe CV et son caractère consonantique est mis en relief. En ce qui concerne la glottalisation des voyelles initiales, j'observe que sa fréquence d'apparition est conditionnée par la position prosodique. La voyelle n'est jamais glottalisée en début de mot, alors que la glottalisation est plus fréquente en début de constituant supérieur (GAi, GIi). DISCUSSION ET CONCLUSION (Chapitres VI et VII) : Au terme de cette étude, il apparaît qu'en français l'articulation d'un segment placé en position initiale dans un constituant est fonction du niveau prosodique de ce constituant. Les variations articulatoires en position initiale ne sont pas limitées au niveau du Mot. Un segment initial dans un constituant de niveau inférieur se distingue d'un segment initial dans un constituant supérieur par des variations articulatoires dont l'amplitude augmente graduellement en suivant la hiérarchie des constituants. Ainsi, la structuration prosodique d'un énoncé en constituants de différents niveaux apparaît dans la production des segments placés en position initiale dans ces constituants. Mes données articulatoires me permettent de vérifier que cet effet de la position prosodique affecte plusieurs types de segments (occlusives, fricatives, liquides, voyelles) et plusieurs types d'articulations (linguale, nasale, glottale). Néanmoins, le marquage articulatoire de la position initiale apparaît comme un phénomène optionnel. Tous les constituants ne sont pas toujours marqués par ces variations. Les distinctions les plus fréquentes se font entre les débuts de constituants les plus hauts et les début de constituants les plus bas. L'apparition de ces variations dépend des locuteurs, des articulateurs et des segments. Je propose donc de considérer la position initiale comme un site de variations potentielles. Celles-ci sont le reflet de la spécification de la position initiale comme un site prosodique particulier au niveau de l'encodage de l'énoncé. Dans ce site, les variations sont possibles mais elles ne font pas toujours surface. Les variations articulatoires que j'ai observées dans cette étude sont des variations subtiles. Ce sont des "détails articulatoires" qui ne modifient pas la nature phonologique du segment. Elles peuvent prendre des formes diverses en fonctions des segments (surface d'occlusion, asymétrie, valeur de débit d’air, glottalisation...). Toutefois, chaque articulateur affecté varie dans la même direction pour tous les segments (élévation de la langue, abaissement du velum, constriction glottale...). Il semble donc raisonnable de penser que ces variations sont gouvernées par un mécanisme physiologique global qui agit à un niveau supérieur dans le contrôle moteur de la parole. L'hypothèse d'un renforcement articulatoire en tant qu'augmentation de la contraction musculaire, me semble être un mécanisme unifiant pouvant expliquer les variations observées. Il peut expliquer l'augmentation du contact linguopalatal par une augmentation de la contraction des muscles élévateurs de la langue, la diminution du débit nasal par une augmentation de la contraction des muscles abaisseurs du velum, et la glottalisation par une augmentation de la contraction musculaire au niveau de la glotte. Le renforcement articulatoire serait donc ici un phénomène local associé à la frontière initiale dans un constituant. La distinction entre les différents niveaux de frontières prosodiques consisterait alors en une augmentation graduelle du renforcement articulatoire initial, des débuts de constituants inférieurs aux débuts de constituants supérieurs.

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Cécile Fougeron. Variations articulatoires en début de constituants prosodiques de différents niveaux en français. Linguistique. Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle, 1998. Français. ⟨NNT : ⟩. ⟨tel-02926017⟩
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