Sur la réalité des propriétés dispositionnelles

 

(Colloque de l’université de Caen (28 février-2 mars 2001):

“Le réalisme des universaux”)

 

Claudine Tiercelin (Université de Paris XII, Institut Jean-Nicod)

 

Pendant longtemps, les dispositions ont eu un statut aussi peu respectable en philosophie que celui qu’eurent, des siècles durant, les filles-mères: associées à l’obscurantisme des qualités occultes, des pouvoirs, des capacités, mais aussi aux difficultés inhérentes à la possibilité, les dispositions ont fini par disparaître de notre “ameublement ontologique”, et par faire partie, comme le concept de “cause” ou de monarchie absolue, de ce que Russell appelait ces “reliques d’un âge révolu”. Tolérables comme des façons de parler, mais à coup sûr inadmissibles, à titre d’entités ontologiques autonomes.

Toutefois, depuis un certain temps, au terme de discussions dont la profondeur le dispute à la complexité, un certain nombre de philosophes ont tenté de donner aux filles mères le statut respectable de mères célibataires. Avant d’aborder quelques unes des difficultés qui sont le plus mises en lumière dans les discussions récentes[1], il convient donc de rappeler quelques jalons d’une histoire contemporaine déjà fort riche.

Les premiers pas effectués en faveur de la réhabilitation des dispositions sont venus, non pas de métaphysiciens ou de théologiens, mais des philosophes des sciences, et de leur prise de conscience du fait qu’il est impossible d’exclure de la science certaines entités non observables. Si les positivistes logiques ont cherché à réduire les dispositions, en tentant de les exprimer dans un vocabulaire d’où serait exclue toute référence à des propriétés modales des objets, c’est d’abord parce qu’ils ont dû admettre qu’elles étaient en un sens inéliminables.

La seconde tentative de réhabilitation des dispositions est venue (dans les années 50) de la philosophie de l’esprit et de la psychologie, et de la constatation d’un double échec: celui tout d’abord d’une interprétation internaliste (ou “cartésienne”) des phénomènes mentaux: ainsi l’attention aigüe d’un Ryle aux dispositions — mais on trouverait des arguments très proches chez Wittgenstein et Peirce —  est directement liée à sa critique du mythe du fantôme dans la machine. Mais échec également de toute interprétation mécaniste ou strictement comportementaliste (ou behavioriste) des phénomènes mentaux, incapable à son tour de rendre compte de certains états évidemment dispositionnels tels que des désirs ou des croyances.

Le troisième domaine qui a permis de redonner vie au concept de disposition est celui des probabilités: face aux difficultés rencontrées aussi bien par des conceptions subjectivistes ou conceptualistes que par des conceptions fréquentistes des probabilités, certains (notamment Popper) ont essayé, dans le sillage de deux auteurs-clés en la matière: Peirce, ici encore, et Frank Ramsey, de reprendre le problème à partir d’une théorie propensionniste.

Enfin, pour certains, c’est la nouvelle image du monde offerte par la mécanique quantique qui semblait exiger de remettre à l’honneur les dispositions. On trouve cette idée chez Popper: non seulement les dispositions sont réelles, mais l’univers tout entier est fait de propensions [2]. Voici ce qu’écrit par exemple I.J. Thompson en 1988:

 

“La position et la vitesse doivent à présent être rattachées non à des propriétés spatiales ou à des formes actuelles, mais à des propensions… la mécanique quantique emploie des dispositions du type “propension”, car c’est cela qui manifeste de façon probabiliste ses effets. … Si donc nous nous demandons à quoi doit ressembler le monde pour que la mécanique quantique le décrive correctement… la notion [de disposition] a des chances d’être fondamentale pour une analyse réaliste et non paradoxale de la physique quantique; aussi importe-t-il de résister à certaines interprétations de la physique et du monde physique qui rendent impossibles les dispositions…Dans la théorie quantique des champs (une forme plus complète de la physique quantique), c’est jusqu’à  l’existence des objets qui est une propriété dispositionnelle, laquelle peut ou non se manifester, comme par exemple, des paires de particules et d’anti-particules peuvent ou non se former”[3].

 

Mais, on le voit, dans chacun de ces cas, la réhabilitation n’a pas signifié le même type d’engagement. En tout cas, pour beaucoup, elle n’a signifié aucun engagement ontologique du tout. 

Quand on n’a pas éliminé les dispositions, on a souvent cherché  (non sans raison) à les réduire, ce qui s’est d’abord traduit par le déplacement des problèmes ontologiques sur le terrain de l’épistémologie ou de la sémantique.

Un pas plus net en faveur de l’admission d’une certaine “réalité” des dispositions a été franchi dans l’analyse contemporaine,  lorsqu’il a été à peu près admis que le problème n’était plus tant — comme c’était encore le cas chez le Carnap des années 30 et chez les positivistes (et comme ce l’est encore sans doute chez Quine)— de savoir si l’on doit se passer de notions modales comme celle de nécessité, de possibilité ou de disposition, que de savoir comment interpréter ces notions et déterminer si l’usage, en lui-même parfaitement légitime, des notions modales et des notions dispositionnelles en science, est ontologiquement. fondé ou non. C’est ce type de discussion que l’on retrouve par exemple chez des auteurs comme David Armstrong dont on connaît les engagements métaphysiques forts.

 Mais réfléchir à la portée ontologique des dispositions ne veut pas dire qu’on leur accorde nécessairement une réalité: pour Armstrong en effet, si les dispositions ne sont pas seulement les ombres ontologiques de prédicats, elles n’en restent pas moins des propriétés qui ne sont pas autonomes, puisqu’elles ne peuvent avoir de véritable statut qu’à condition d’être rapportées à des propriétés plus fondamentales, leurs “bases catégoriques”, celles qui sont données, par exemple, par la microstructure ou la dimension spatio-temporelle.

Une réaction assez forte à ce “catégoricalisme” d’Armstrong a précisément consisté, dans la lignée d’auteurs comme Popper ou Mellor, à défendre l’idée d’une relation, certes nécessaire, entre les propriétés dispositionnelles et leur base, mais en interprétant cette base elle-même comme dispositionnelle.

La question qu’il faut évidemment se poser est celle de savoir si le dispositionnalisme ainsi compris est correct, s’il constitue la seule manière de défendre la réalité des dispositions ou s’il existe d’autres voies, qui permettraient d’échapper à la réduction sémantique ou épistémologique des dispositions, sans pour autant signifier un retour pur et simple au charme discret des pouvoirs et autres vertus dormitives.

 

1. L’élimination des dispositions.

Même si les dispositions ont gagné en respectabilité, ce n’est pas dire qu’elles aient remporté, ou qu’elles remportent encore aujourd’hui, tous les suffrages. Bon nombre de philosophes continuent de penser que l’attitude correcte à leur égard est la pure et simple élimination [4], et que l’introduction de dispositions indique seulement le niveau d’imperfection de certaines de nos connaissances scientifiques. Comment ne pas rappeler ici ce qu’écrivait Robert Boyle  en 1666:

 

“Les corpuscularistes montreront que les qualités mêmes de tel ou tel ingrédient viennent de sa texture particulière et des affections mécaniques des corpuscules sont il est fait”[5].

 

Tous les mystérieux pouvoirs hérités de la philosophie aristotélicienne peuvent donc s’expliquer en termes de formes et de structures, en un mot, de qualités premières des choses. Le regretté Quine a exprimé en 1974 dans The Roots of Reference un projet très voisin de celui de Boyle:

 

“Chaque disposition, à mon sens, est un état ou un mécanisme physique. Le nom d’une disposition spécifique, comme par exemple la solubilité dans l’eau, mérite sa place dans le vocabulaire de la théorie scientifique comme nom d’un état ou d’un mécanisme particulier. Dans certains cas, comme dans le cas aujourd’hui de la solubilité dans l’eau, nous comprenons les détails physiques et sommes capables de les présenter explicitement en termes de l’arrangement et de l’interactions de petits corps. Une telle formulation, une fois achevée, peut même dès lors prendre la place du vieux terme dispositionnel, ou s’entendre comme sa nouvelle définition”[6].

 

Pour résumer: les dispositions sont des concepts qui ont besoin de se racheter une conduite. La compréhension, en termes dispositionnels, d’un phénomène n’en constitue pas une compréhension adéquate d’un point de vue scientifique; des termes non dispositionnels doivent remplacer l’idiome dispositionnel. Il revient à la science de le faire. Par implication, s’il n’y a pas d’état ou de mécanisme particulier avec lequel on puisse mettre en parallèle un terme dispositionnel, alors ce dernier n’a pas sa place dans le vocabulaire scientifique[7]. 

 

2. La réduction des dispositions et ses difficultés.

L’attitude prônée par les positivistes logiques d’un côté, ou par des auteurs comme Ryle ou Goodman de l’autre, a été en un sens plus constructive. On ne dit pas que la disposition est une propriété qui n’existe pas, mais il s’agit bien tout de même de la réduire le plus possible. On reste acquis à l’idée que les problèmes relatifs aux dispositions sont bien, comme le souligne Goodman,  “parmi les plus urgents et les plus pénétrants auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui dans la théorie de la connaissance et dans la philosophie des sciences”[8], mais on déplace l’examen du problème du plan ontologique au plan épistémologique et sémantique, en raison notamment du fait que les dispositions font intervenir la possibilité, modalité mystérieuse s’il en est.

 

“En plus des propriétés observables et des processus effectifs qu’elle  subit, une chose est remplie de menaces et de promesses. Les dispositions ou capacités d’une chose — sa flexibilité, son inflammabilité, sa solubilité, ne sont pas moins importantes pour nous que son comportement manifeste, mais elles nous semblent par comparaison plutôt éthérées. Nous sommes alors portés à nous demander si nous pouvons les définir de façon plus terre-à-terre, auquel cas nous pourrions expliquer les termes de disposition sans aucune référence à des pouvoirs occultes”[9].

 

Et il poursuit, dans un chapitre au titre évocateur, « Le trépas du possible » :

 

 “Quelques unes des choses qui me semblent inacceptables sans explication  ont pour nom pouvoirs ou dispositions, assertions contrefactuelles, entités ou expériences possibles mais non réalisées, neutrinos, anges, démons et classes”[10].

 

L’attitude préconisée consiste alors à changer de sujet et — ce qui n’est d’ailleurs pas forcément plus facile— à s’attaquer à l’examen de notions permettant de prendre les dispositions mieux en charge, telle que celles de loi, de conditionnel contrefactuel, et à l’élaboration d’une théorie correcte de la généralisation inductive.

2.1. La réduction carnapienne.

C’est à ce type de tâche que se consacre Carnap en 1936 dans Testability and Meaning  [11]. Ainsi que l’avait montré Peirce dès 1878, Carnap s’aperçoit en effet que l’on peut définir les dispositions en termes de conditionnels du type:  

(1) si x était placé dans l’eau, x se dissoudrait.

c’est-à-dire, en termes de conditionnels “contrefactuels” selon la terminologie consacrée. Mais ils s’aperçoit tout aussi vite qu’une interprétation philonienne du conditionnel conduit à des paradoxes: “x est soluble” ne peut pas être équivalent en signification à un conditionnel matériel du type:

(2) si x est placé dans l’eau, il  se dissout.

puisque cet énoncé peut être vrai si l’antécédent est faux et a donc pour conséquence qu’un objet qui n’est jamais placé dans l’eau pourrait se dissoudre[12]. Autant dire alors, comme le notait Peirce, qu’on doit reconnaître comme vrai des énoncés tels que: “Si le diable était élu Président des Etats-Unis, cela s’avèrerait extrêmement profitable au bien-être des gens (puisqu’il ne sera pas élu)”[13] (3.443).

Pour résoudre ce paradoxe[14], Carnap admet qu’il n’est pas possible de donner une définition vérifonctionnelle des dispositions, mais que cela importe peu en définitive, tant qu’on peut les réduire à des énoncés construits à partir d’énoncés observationnels: “Tous les termes scientifiques peuvent être introduits comme des termes dispositionnels sur la base de termes observationnels, soit par définition explicite soit par ce qu’on appelle des énoncés de réduction, qui constituent une sorte de définition conditionnelle”[15]  dont la formulation est la suivante: “si n’importe quel x est mis dans l’eau à n’importe quel temps t, alors, si x est soluble dans l’eau, x se dissout au temps t, et si x n’est pas soluble dans l’eau, il ne se dissout pas”.  Pour parler des dispositions non testées, on ajoutera simplement à l’énoncé de réduction la clause suivante:  chaque fois qu’un antécédent n’est pas vrai, à n’importe quel temps t, dans des cas non testés, alors, il n’est ni vrai ni faux d’attribuer la disposition. Ainsi on n’affirme ni ne nie la présence de la disposition. Elle n’a simplement aucune valeur de vérité, puisqu’elle n’a pas de contenu empirique confirmé. On parvient donc à une solution parfaitement vérificationniste au problème, proche de celle également adoptée dans un premier temps par Peirce, qui restreignait la définition des énoncés dispositionnels aux seuls cas où la disposition est en train de s’actualiser: ainsi, dire qu’un objet, par exemple un diamant, est dur, n’a de sens qu’aussi longtemps qu’on le soumet à un test de dureté, i. e. par exemple, qu’on essaie de le rayer. Si cette condition est remplie, soit le test aboutit (on n’arrive pas à rayer l’objet) et on conclut que l’objet possède la disposition, i.e. que l’énoncé dispositionnel est vrai (le diamant est dur), soit le test échoue et l’énoncé dispositionnel est alors jugé faux. Si la condition n’est pas vérifiée, l’énoncé n’a pas de valeur de vérité: il est absurde de se demander à propos d’un diamant qu’on n’a jamais essayé de rayer s’il est dur ou non “Il n’y a absolument aucune différence entre une chose dure et une chose molle, tant qu’on ne les a pas soumises au test”[16]. Toutefois, comme Peirce le dira bientôt, ce qu’on aimerait pouvoir dire d’un objet qui a passé une ou plusieurs fois un test approprié, tout en n’y étant  pas soumis au moment où l’on parle, c’est qu’il possède cette disposition, et non pas qu’il n’est pas pertinent de se demander s’il la possède ou non.

    Entre autres défauts, comme le note Mellor, la démarche de Carnap a celui d’être incapable de rendre compte d’un aspect sur lequel Aristote avait d’ailleurs beaucoup insisté, a savoir la mutabilité des dispositions[17].  

2.2. La tentative de réduction rylienne.

A cet égard les tentatives de réduction menées par Ryle[18] sont plus convaincantes.  D’un côté en effet, il est dit que les dispositions ne sont pas des substances, qu’elles ne sont réductibles ni à des événements ni à des états, ni à des activités: affirmer qu’une disposition n’est pas un état, c’est considérer qu’elle a une manière spécifique d’exister dans l’espace et dans le temps; ce qui est particulièrement net dans le cas des dispositions relevant d’un savoir faire: à partir du moment où il est établi que quelqu’un possède une disposition et aussi longtemps qu’il la possède, il n’y a pas de façon satisfaisante de répondre à la question de savoir à quel moment il l’a. Point également souligné par Peirce et par Wittgenstein:

 

“Si on demandait: quand sais-tu jouer aux échecs? Tout le temps? Ou au moment où tu dis que tu sais? Ou pendant que tu joues un coup dans une partie? Et comme il est étrange que savoir jouer aux échecs demande si peu de temps, alors qu’une partie en demande tellement plus”[19].

 

Essayons  par exemple de donner sens aux énoncés suivants:

1) “Ce verre est fragile ici”. 2) “Ce verre a été fragile hier soir”.

3) “Pierre est colérique à Paris”. 4) Diane sait jouer du piano à Mexico.

Les dispositions n’ont donc pas plus de spatialité que de temporalité authentiques. Une disposition n’est pas situable, tel un point, ou un intervalle temporel déterminé: essayer de la situer, c’est commettre une erreur de catégorie. Aussi Peirce comme Wittgenstein considèrent-ils que les dispositions ne sont pas dans l’esprit: non parce qu’elles se trouveraient ailleurs, mais parce qu’elles ne se trouvent en un sens nulle part. A ceux qui soutiennent que “la faculté de langage réside dans un certain lobe”, Peirce objecte qu’il serait plus vrai de dire que le langage se trouve dans la langue (tongue) ou dans l’encrier[20].

Néanmoins, qu’une disposition ne soit pas un épisode ou une éventualité, c’est-à-dire quelque chose de localisable dans le temps et dans l’espace, ne permet pas d’inférer qu’elle n’a absolument aucune forme de durée. Comme le dit Ryle: “Il n’y a rien d’incompatible à dire que les énoncés dispositionnels ne racontent aucun incident et à admettre que les énoncés dispositionnels peuvent avoir une temporalité (tenses). “Il a été fumeur pendant un an” et “Le caoutchouc a commencé à perdre son élasticité l’été dernier” sont des énoncés dispositionnels parfaitement légitimes; et s’il n’était jamais vrai qu’un individu pût commencer à savoir quelque chose, le métier de professeur n’existerait pas”[21]. Bref, si les dispositions n’avaient rien de temporel, on voit mal comment elles pourraient être acquises ou se perdre[22].

  Mais pour Ryle, les dispositions ne sauraient être entendues comme des propriétés réelles des objets. “Soluble”, par exemple, n’énonce aucun fait: il nous permet seulement d’inférer de “x est mis dans l’eau” que “x se dissout”. En ce sens, deux verres à l’apparence identique, mais dont l’un seulement est fragile, sont en fait identiques tant qu’on ne les a pas fait tomber :

 

“Les énoncés dispositionnels ne sont ni des comptes rendus d’états de choses observés ou observables, ni non plus des compte rendus d’états de choses non observés ou non observables” [23].

 

       Ryle s’inscrit dans une perspective classiquement qualifiée de humienne, où l’on fait une distinction tranchée entre ce qu’est une chose et la manière dont elle est disposée à se comporter, entre ses propriétés non dispositionnelles (ou “catégoriques”, telles que ses propriétés spatio-temporelles), et les propriétés dispositionnelles relevant de ce que la chose est susceptible de faire. En d’autres termes, ce qu’est la chose dépend de ses propriétés. Quant à ses dispositions, elles dépendent des lois de la nature (qui sont contingentes), ces deux déterminations étant censées être indépendantes: des choses qui auraient exactement les mêmes propriétés, mais qui se trouveraient dans des mondes possibles différents, se comporteraient différemment, si, dans ces différents mondes possibles, les lois de la nature étaient différentes. Comme les propriétés dispositionnelles sont indépendantes de la chose, elles ne peuvent caractériser son essence, et ne peuvent donc pas être des propriétés essentielles: elles sont simplement contingentes. On mesure ici toute la distance qui sépare une perspective de ce genre d’une conception comme celle d’Aristote, des médiévaux ou de Leibniz, selon laquelle il y a des pouvoirs causaux, des capacités, ou des potentialités, et selon laquelle la nature d’une chose n’est pas indépendante de ses dispositions, où, par conséquent, il n’y a pas de distinction nette entre ce qu’est une chose, son essence, et les manières dont elle peut se comporter, ou est disposée à se comporter, ou, en termes leibniziens, son activité[24]. Les dispositions qu’a l’objet sont dites être seulement relatives à notre connaissance des lois particulières.

   Il n’y a donc rien d’autre, derrière la disposition, que ses manifestations possibles, “possible” signifiant seulement que nous avons le droit de faire une certaine inférence. Pour Ryle, suivant ici encore Hume, une loi de la nature n’a rien de réel: ce n’est rien d’autre que ce qu’il appelle un “ticket inférentiel”. L’attribution de “ fragile” à un objet, par exemple, dépend de la présence d’une loi causale, laquelle énonce simplement des conjonctions constantes entre des événements d’un certain type et des événements d’un autre type. Rien toutefois dans les choses qui corresponde à la propriété dispositionnelle, en dehors de cette conjonction constante entre événements. Ainsi, supposons que ce soit une loi que chaque fois qu’on laisse tomber un  certain type de verre, il se brise. Dire qu’un verre est fragile, c’est simplement dire que si on le laissait tomber ainsi, il se briserait. Les inférences autorisées par “ce verre est fragile” ne sont qu’un sous-ensemble de celles qui sont autorisées par la loi. En toute rigueur, l’énoncé “ce verre est fragile” n’est donc pas un énoncé vrai ou faux, il est plutôt de la nature d’une règle , au même titre qu’une règle de logique qui est plus justement dite “valide” que “vraie”.  Il n’a donc pas besoin de ce que  D. Armstrong appelle un “truthmaker” (véri-facteur)[25]. La disposition sera définie de manière purement opérationnelle en termes des énoncés conditionnels contrefactuels qui établissent ses conditions de manifestation[26].

   Mais les difficultés d’une telle position sautent aux yeux: que dire d’un verre qu’on ne fait pas tomber? Comment justifie-t-on l’inférence de “on fait tomber le verre “ à “il se brise”, puisque celle-ci ni ne relève d’une “autorité logique”, ni “ne dérive de l’occurrence présente d’aucun événément”[27]?

 

3. Un premier pas vers l’engagement ontologique: l’identité des dispositions et des propriétés catégoriques.

Un pas en direction d’une forme d’engagement ontologique est celui accompli par ceux qui admettent que les dispositions sont des propriétés, mais  que ce sont des propriétés soit réductibles soit identiques en fait à d’autres propriétés (“catégoriques”) comme celles de forme ou  de localisation spatio-temporelle). Le philosophe australien Armstrong est le plus éminent défenseur de cette position: à moins d’admettre qu’une disposition comporte une base non-dispositionnelle, on n’a aucune raison de la postuler entre ses manifestations. L’application d’un prédicat dispositionnel doit bien dépendre de l’existence d’une “base catégorique”, comme la microstructure de l’objet, qui, elle,  n’est pas dispositionnelle. C’est en vertu de la réalité de cette “base” non dispositionnelle que la disposition est réelle, catégorique:

 

“Parler d’un objet comme ayant une propriété dispositionnelle implique logiquement que l’objet soit dans quelque état non-dispositionnel ou qu’il possède quelque propriété (il existe une “base catégorique” qui est responsable du fait que l’objet manifeste un certain comportement)”[28].

 

Ainsi un verre fragile diffère (par exemple) par sa structure moléculaire d’un verre qui ne l’est pas;  un homme qui a une croyance diffère, par un certain état cérébral, de quelqu’un qui n’en a pas. On est bien en présence d’un réductionnisme[29] puisqu’il ne s’agit pas seulement de parler d’implication logique, mais d’affirmer que les propriétés dispositionnelles doivent être identiques à leur base catégorique. Du reste, comme l’a bien vu C. B. Williams, Armstrong considère, comme Quine, que c’est au savant de découvrir la “nature concrète” de la disposition[30]. Par ailleurs, il semble suggérer que tout ce qui est réel est catégorique, et que l’on ne doit pas admettre de potentialités réelles:

 

“Il est impossible que le monde contienne quoi que ce soit d’autre et de plus que ce qui est actuel (réel). Car il n’y a pas d’intermédiaire entre l’existence et la non-existence”[31].

 

Cette affirmation en faveur du “catégoricalisme” est confirmée dansA World of States of Affairs[32]: toutes les propriétés authentiques sont non-dispositionnelles.

Si l’engagement en faveur des dispositions s’appuie bien sur une certaine ontologie, et de surcroît, une ontologie réaliste, elle ne constitue donc pas du tout une affirmation de la réalité des dispositions, puisque les propriétés catégoriques restent les propriétés fondamentales. Loin donc d’attribuer aux dispositions un statut de propriétés autonomes et intrinsèques des objets, cette théorie leur attribue un statut dérivé et extrinsèque. Si la soi-disant “réalité” des dispositions tient à leur base non dispositionnelle, comment les dispositions peuvent-elles être réelles, et jouer un rôle effectif dans l’explication du comportement de telle ou telle chose? Si un terme comme “fragile” n’est là que pour désigner implicitement l’existence d’une propriété interne de la structure actuelle et occurrente d’un objet, quel peut bien être son rôle explicatif, comparé à cette structure causale réelle?

    Paradoxalement donc, la réduction des dispositions à leurs bases “réelles” tend à en faire de simples potentialités, non réelles, proches des fameuses vertus dormitives.

 

  4. Le dispositionnalisme.

Le véritable engagement en faveur de la réalité des dispositions ne commence vraiment qu’à partir de la thèse (dite dispositionnaliste[33]), selon laquelle toutes les propriétés ou presque, y compris les plus fondamentales,  sont en fait dispositionnelles[34]: si l’on admet bien avec le réalisme catégorique l’existence nécessaire d’une corrélation entre la disposition et sa base, on nie que cette dernière soit non dispositionnelle. Il n’y a dès lors plus de distinction entre les propriétés censées être non dispositionnelles et les propriétés dispositionnelles: comme vont le dire Popper, puis Goodman et Mellor, les propriétés sont toutes dispositionnelles. Corrélativement, les prédicats habituellement considérés comme non dispositionnels sont considérés comme dispositionnels. Quand nous réfléchissons à ce que peuvent être les bases catégoriques des objets, nous avons tendance à penser à des configurations spatiales de certaines choses — des choses dures, massives, dotées d’une forme et résistant à la pénétration ou au déplacement. Mais la résistance est par excellence une propriété dispositionnelle; l’étendue, comme y insista Leibniz, ne peut s’entendre qu’en relation avec telle autre propriété à même de définir les limites de la chose en question: ainsi, la dureté va de pair avec la résistance, et la masse n’est connaissable que par ses effets dynamiques. Un électron n’est pas quelque chose que l’on pourrait identifier indépendamment de ses pouvoirs causaux, capacités ou propensions. Tout au contraire, ce qu’un électron est disposé à faire, c’est-à-dire, la manière dont il est disposé à interagir avec des champs et avec d’autres particules, est ce qui fait de lui le genre de chose qu’il est. Une particule est un électron si et seulement si elle est disposée à se comporter ainsi que le fait un électron. Ses propriétés dispositionnelles relèvent donc de son essence[35]. Ce qui revient aussi à dire que, contrairement à ce que soutient le catégoricaliste, les propriétés dispositionnelles des espèces les plus fondamentales de choses ne peuvent varier d’un monde à l’autre.

    Ce que nous montrerait donc la science, c’est l’omniprésence des propriétés dispositionnelles. Nous partons de propriétés dispositionnelles macroscopiques telles que la dureté, la fragilité ou la malléabilité. Nous leur trouvons des bases comme la longueur, le volume, la pression, la charge électrique, le courant, les champs, et dans le même temps, les capacités des choses à y réagir comme à les affecter. Plus nous descendons vers des bases ultimes, plus nous trouvons de propriétés dispositionnelles du même genre. Aussi n’y a-t-il rien de problématique à soutenir que les propriétés dispositionnelles sont réelles, puisqu’en vérité, ce sont les seules propriétés qui existent.

   Dans une telle perspective, l’essentiel n’est donc plus tant de distinguer, entre propriétés, celles qui sont dispositionnelles de celles qui ne le sont pas que de donner un critère satisfaisant permettant de dire d’une propriété qu’elle est réelle;  partant, de faire le tri entre les dispositions réelles et les pseudo-dispositions.  Mellor en propose deux: que la propriété se manifeste de plus d’une manière et qu’elle soit nomiquement connectée à d’autres propriétés. On observera que la plupart des propriétés catégoriques passent le test de la connexité: Des différences de forme, de taille, et autres propriétés catégoriques sont bel et bien des différences, parce que des différences dans les relations spatio-temporelles et donc dans les structures constituent de réelles différences[36]. Mais les propriétés dispositionnelles passent aussi bien le test de la connexité que les propriétés catégoriques; ainsi, tout autant que peut l’être la forme, la masse inertielle, par exemple, est nomiquement connectée à d’autres propriétés.

Un meilleur critère pour tester la “réalité” des dispositions, et donc pour distinguer dispositions réelles et pseudo-dispositions, serait peut-être de s’attarder sur le type de processus qu’elles mettent en œuvre. Des dispositions réelles impliqueraient des changements réels dans l’objet: ainsi, la solubilité est une disposition réelle, parce qu’une substance soluble subit un réel changement lors de la manifestation de la disposition. Ce qui n’est pas le cas de la triangularité, même si l’on peut dire qu’un objet particulier a la disposition à paraître triangulaire, ou est tel que si nous devions compter ses coins, nous en trouverions trois. De telles dispositions ne sont donc pas authentiques. Elles n’impliquent que ce que Geach appelait des “changements Cambridgiens”[37]. On observera au passage que c’est à peu près en vertu du même principe, qu’Ockham, au chapitre 55 du livre I de la Somme de logique, parvient à des conclusions assez voisines. 

     L’ontologie ockhamiste admet, comme on sait, deux groupes fondamentaux d’entités: les substances et les qualités. Or, les dispositions relèvent des qualités, comme l’avait montré Aristote au chapitre 8 des Catégories [38] : mais certains modernes, observe Ockham, ont soutenu (à tort) que chaque qualité est une chose réellement distincte de la substance et de la quantité et des choses relatives, et que les contenus des autres sortes de qualités sont “réellement distincts l’un de l’autre”. Ainsi :

 

 Etant donné (A): il ne peut y avoir de passage du contradictoire au contradictoire en dehors de la génération ou de la corruption de certaines chose (res)) , “Socrate est malade” et “Socrate est bien portant”, ne pourraient pas être successivement vrais à moins que quelque chose de réellement distinct de Socrate, disons, une qualité réellement distincte de santé, ne soit produite. De même “Cléopâtre est belle” et “Cléopâtre est laide” ne pourraient pas être successivement vraies à moins qu’une chose réellement distincte, disons la qualité de beauté, ait d’abord été présente en Cléopâtre puis se soit corrompue[39].

 

Mais voilà qui est, ontologiquement trop permissif, considère Ockham : ce qu’il faut plutôt dire, c’est que certains qualités sont des choses réellement distinctes de la substance alors que d’autres ne le sont pas:

 

“Pour savoir quand une qualité doit être considérée comme quelque chose d’autre que la substance et quand elle ne le doit pas, il faut procéder de la manière suivante: lorsque certains prédicables qui ne peuvent se vérifier en même temps de la même chose peuvent s’en vérifier successivement du seul fait d’un mouvement local, il n’est pas nécessaire que ces prédicables signifient des choses distinctes” [40]. 

 

Or, si une chose suffit à la vérité d’une proposition, il est superflu d’en assumer deux et donc de supposer la distinction réelle de telles qualités Il le faut en revanche si le mouvement local est incapable d’en rendre compte.

    Mais l’application du critère conduit alors à éliminer tout engagement ontologique s’agissant du concept de figure, car un mouvement local peut être responsable de l’apparition ou de la disparition de la figure d’une chose, et donc de la vérification du terme de figure: “droit et “courbe” ne nous imposent pas de poser autre chose que la substance droite ou courbe, car, comme l’ont montré M. Adams et C. Michon[41],  un mouvement local de ses parties est à l’origine de cette dénomination  il en est de même de la densité ou  de la rareté. Partant, la quatrième sorte de concept de qualité est sans engagement ontologique et ne nous oblige pas à poser des figures[42] .

Les propriétés ne seraient donc pas toutes vraiment dispositionnelles. Cette conclusion aurait pour premier mérite de nuancer l’argument de la non distinction entre propriétés dispositionnelles et propriétés non dispositionnelles et de minimiser ses relents idéalistes fâcheux, qui ne sont pas sans rappeler les effets de la suppression, par Berkeley, de la distinction lockéenne entre qualités premières et qualités secondes: ne faudrait-il pas dire en effet que toutes les qualités sont des qualités secondes perçues, et que la matière demeure à jamais inscrutable? De même, l’argument de la connexité des propriétés rappelle l’univers leibnizien et le risque que fait encourir un dispositionnalisme intégral: celui, en définitive, de dé-réaliser la plupart des propriétés, et de rendre la notion de vérité elle-même inapplicable. De plus, considérons le cas où la disposition ne se manifeste pas: on est alors obligé d’admettre, comme l’observe Armstrong, que “l’objet a toujours en lui, de manière essentielle, une référence à la manifestation qui ne s’est pas produite. Il pointe en direction d’une chose qui n’existe pas”[43].

     Pour certain auteurs au demeurant, l’intentionnalité — que Brentano tenait pour une marque distinctive du mental (dirigée vers des objets ou des états de choses qui n’existent pas) — est une marque, non pas du mental, mais, comme le dit Ullin Place, du dispositionnel[44].

   On le voit: si l’on admet que les choses physiques ne sont rien d’autre que des dispositions et des pouvoirs, il faut alors admettre qu’il y a de l’intentionnalité partout[45]. Aussi certains — tel Armstrong— suggèrent-ils d’adopter une doctrine un peu plus déflationniste mais qui n’en reste pas moins à même de rendre compte de pouvoirs et de dispositions qui ne se sont pas manifestés[46] .

Est-ce à dire dès lors qu’il faille rejeter toute forme de dispositionnalisme au profit du catégoricalisme, et plus encore renoncer à être réaliste relativement aux dispositions? Dans ce qui suit, on voudrait proposer quelques pistes susceptibles d’éviter ces conclusions.

 

5. Comment être réaliste relativement aux dispositions sans être un dispositionnaliste intégral?

 

  5.1. L’approche fonctionnaliste des dispositions de S. Mumford.

Au chapitre 9 de son livre, S. Mumford propose une théorie fonctionnaliste des dispositions, qu’il juge à même de répondre aux objections précédentes — et partant, à même de tenir compte simultanément 1) du nécessaire maintien d’un certain niveau de distinction, difficilement éliminable, entre le dispositionnel et le catégorique, 2) du rôle vraiment causal des dispositions, 3) du fait enfin que les attributions de dispositions sont relatives au monde — et de se présenter malgré tout comme “réaliste” [47]. 

Mumford considère que la nature est composée d’une hiérarchie de niveaux dispositionnels et sub-dispositionnels, où sont présentes, à chaque niveau, des instances de propriétés structurelles ou non dispositionnelles qu’on peut identifier à des dispositions. Ainsi, “plusieurs choses peuvent être solubles mais si elle le sont, c’est en vertu du fait qu’elles possèdent une propriété qui a le rôle fonctionnel de causer la dissolution lors de l’immersion dans l’eau. Rien n’est dit sur ce qu’est la spécification non fonctionnelle de cette propriété  dans des cas tels que la solubilité, l’élasticité, la fragilité et autres: le rôle fonctionnel est un rôle causal spécifié en termes d’antécédents causaux typiques et de conséquences causales typiques”[48]. Dès lors, on définira une attribution dispositionnelle comme “la caractérisation fonctionnelle d’une propriété”  permettant de dire quelle contribution causale la possession de cette propriété apporte à celui qui la possède sans rien dire sur la manière dont est provoqué le rôle causal[49]. Ce sont bien des bases catégoriques qui sont à l’origine de ces rôles causaux mais on ne peut directement réduire les dispositions à de telles bases[50]. Partant, une propriété ne sera dite  dispositionnelle (ou catégorique) que relativement à un choix d’explanandum[51]: “Relativement au rôle fonctionnel consistant à causer la dissolution dans un liquide, la dénotation d’une propriété P qui a ce rôle causal, par nécessité conceptuelle — la solubilité — est dispositionnelle. Dénotée de telle manière qu’elle ne nécessite pas conceptuellement ce rôle causal, peut-être en termes de structure moléculaire, cette même propriété se trouve être non dispositionnelle. Néanmoins par l’argument du rôle causal, ces deux dénotations ont trait au même état ou à la même instance de propriété”[52].

 Toutefois, il n’est pas sûr que ce vocabulaire de fonctions soit très satisfaisant: comme l’ont montré plus généralement les critiques du fonctionnalisme, il est difficile en effet de donner une caractérisation de fonction qui ne comporte pas un élément relatif à l’observateur[53]. On sait qu’une chose (état, artefact ou organe) peut être la cause de comportements très variés: un état peut être à l’origine de la dissolution dans l’eau mais aussi du fait d’avoir un goût salé; le cœur peut pomper le sang mais il fait aussi du bruit, ou encore, le téléphone peut faciliter la communication mais il absorbe et réfléchit aussi la lumière. Dans chacun de ces trois cas, comment dire, parmi ces comportements, celui qui est la fonction de l’état, de l’organe, ou de l’artefact? Dans les deux derniers cas, cela semble relativement aisé, en introduisant une forme ou une autre de téléologie: ainsi, faciliter la communication est la fonction d’un téléphone, plutôt que le fait d’absorber ou de réfléchir la lumière, parce que c’est ainsi que s’explique la présence du  téléphone. De même, on peut expliquer, en termes d’évolution, les fonctions des organes et des organismes: c’est parce que le cœur a pompé le sang, et non parce qu’il fait du bruit, qu’il a été naturellement sélectionné pour certains organismes: nous avons un cœur parce qu’il pompe le sang, non parce qu’il fait du bruit (facteur accidentel). Mais comment appliquer la distinction entre accident et fonction dans le cas des dispositions? Comment,  de la dissolution dans l’eau ou du fait d’avoir un goût salé, établir, de ces deux comportements, celui qui est la fonction de la “solubilité”? On répondra peut-être que le comportement qui est la fonction de l’état est, de tous les prédicats possibles pouvant dénoter l’état, relatif à celui qui est utilisé: on peut utiliser le prédicat “solubilité” pour dénoter l’état; la dissolution dans l’eau sera donc comprise comme la fonction de l’état, et le fait d’avoir un goût salé comme un accident. Mais cela appelle tout de même quelque justification[54]; en outre, on ne voit pas bien le sens qu’il y aurait à dire (comme on l’avait fait dans les deux cas précédents du téléphone ou du cœur) que c’est la dissolution dans l’eau qui explique  la présence de la solubilité. Or si le mérite essentiel de cette approche n’est pas de trancher la question ontologique, mais simplement de repérer quel est le prédicat servant à dénoter la propriété, en quoi avons-nous fait un pas en direction du réalisme? [55]

Comme le rappelle Mackie: “Il peut se faire que la plupart des propriétés ne nous soient connues que sous la forme de dispositions, et soient donc inévitablement décrites et introduites dans un style dispositionnel. Mais ce n’est pas cela qui assure que ce qui est là soit dispositionnel, pas plus que cela ne donne au concept de disposition ou de pouvoir le moindre rôle ontologique ou métaphysique”[56]. 

Toutefois,  cela ne signifie pas davantage qu’une approche réaliste correcte des dispositions pourrait faire l’économie d’une analyse sémantique préalable.

  5.2. L’examen sémantique.

 C’est le mérite particulier de l’analyse récente de Mellor[57] que de le rappeler avec force: avant tout examen ontologique, il faut, insiste-t-il, commencer par se demander si l’on peut simplement donner sens aux attributions dispositionnelles. Or sur ce plan, plusieurs difficultés doivent être levées.

Sans doute peut-on désormais tenir pour acquise, l’existence d’un lien analytique entre conditionnels et attributions dispositionnelles, en d’autres termes, admettre le principe carnapien de traduction des dispositions en des énoncés de réduction: ainsi, pour tout x, “x est fragile” doit signifier quelque chose comme: “si on laissait tomber x, il se briserait”. Mais on connaît les difficultés classiques propres à de tels conditionnels non vérifonctionnels: dans le cas précis, on ne peut conclure à l’implication du conditionnel — à l’inverse de ce qui serait le cas pour un conditionnel vérifonctionnel —  ni du fait qu’on ne laisse pas tomber x, ni du fait qu’il se brise; des clarifications devront donc être faites et sur la manière dont, par exemple, on peut mieux préciser comment on doit laisser tomber x pour qu’il se brise, dans quoi, considérer d’autres symptômes possibles de la fragilité ou encore le fait qu’elle puisse comporter des degrés. Par exemple le type de choc qui permet de tester la fragilité du papier ne sera pas le même que celui qui permet de tester la fragilité d’un pont. De même, on peut imaginer qu’un pont préfabriqué se brise si on le fait tomber lors de son acheminement vers sa destination, mais pas s’il est soumis aux vibrations d’une circulation normale. De même qu’on distinguera la solubilité dans l’eau de la solubilité dans l’huile, il faudra donc distinguer la fragilité dans le cas d’une chute, de la fragilité dans le cas de vibrations, etc.: en d’autres termes, il faudra plus d’un conditionnel pour rendre compte de la disposition, ce qui, toutefois peut se résoudre assez aisément[58]. Plus délicats sont sans doute les problèmes soulevés par les “antidotes”[59] et les “dispositions traîtres” (finkish)[60],  c’est-à-dire ces cas où le fait, par exemple, de laisser tomber une chose fragile a sur un sol dur, soit ramollit le sol, soit provoque la non fragilité de a: dans le premier cas (antidote) comme dans le second (où la fragilité est traîtresse), a ne se brise pas, falsifiant ainsi le conditionnel qu’est censé impliquer logiquement “a est fragile”.  Mais ici encore,  pense Mellor, il existe des moyens de contrer d’une part les antidotes[61], en exigeant que soit spécifié le genre de circonstances C qui est pertinent, en l’occurrence,  le fait de ne pas être rendu non-C du fait d’une chute de type W, et d’autre part la traîtrise, en transformant notre conditionnel abrégé en “si on laissait tomber x sans qu’il cesse d’être fragile, il se briserait”[62].

Restent des problèmes plus sérieux sur le front simplement sémantique: les énoncés de réduction peuvent-ils nous dire ce que signifient “tous” les prédicats dispositionnels?[63] Il est bien connu, en effet, que des dispositions telles que la générosité, le courage ou l’intelligence se manifestent de bien plus de façons que la fragilité (ou a fortiori que la solubilité): ce sont des dispositions “à multiples entrées” (multi-track dispositions). C’est du reste ce qui empêche de mettre complètement sur le même plan les dispositions physiques et les disposition psychologiques.  Supposons que nous connaissions “toutes” les manifestations du courage. Pourrions-nous dire ce que signifie “courageux” en réunissant tous les énoncés de réduction qui disent ce que sont ces manifestations? A l’évidence, non: comme le notait Peirce, une disposition est irréductiblement générale et indéterminée et ne peut se ramener à la conjonction de ses occurrences; mais comme Peirce, puis, dans son sillage Ramsey, Mellor ne voit là qu’une pseudo-difficulté:  il suffira, ici encore, d’analyser le courage relativement aux circonstances (celui qu’on peut manifester face à une guerre, une faillite, un infirmité physique, une humiliation, etc.),  et pour mesurer, par exemple, le degré de courage, de noter non pas comment les gens courageux se manifestent dans telles ou telles circonstances,  mais le nombre de situations dans lesquelles ils en font preuve: en d’autres termes, d’indiquer le nombre d’énoncés de réduction se révélant être vrais à leur sujet. Le fait qu’on ne puisse pas faire la liste de tous les énoncés de réduction possibles du courage ne constitue donc pas une objection, au contraire:  ce n’est précisément que dans certaines circonstances que de tels énoncés prennent sens. Cette limitation même fait partie du sens que nous donnons au terme. Partant, même si nos conditionnels abrégés nous disent peu sur ce à quoi nous devons appliquer le prédicat “fragile” ou le prédicat “courageux” en pratique, il peut toujours nous dire, en un sens suffisamment modeste de ce que veut dire “signifie”, ce que signifie le prédicat, i.e. ce qui est commun à ses divers usages, et aussi ce qui le rend dispositionnel, à savoir, que ce qu’il signifie est un conditionnel: ainsi, pour reprendre le cas du courage, nous pourrons toujours dire en gros ce que toutes ces manières d’être courageux ont en commun (sans pour autant être ambigus): peut-être en disant qu’elles impliquent toutes de faire volontairement ou d’endurer patiemment quelque chose de déplaisant ou de risqué pour ce que l’on considère être une fin bonne[64].

5.3. L’ontologie des propriétés dispositionnelles.

Cela posé, pour qui veut défendre la réalité des propriétés dispositionnelles,  il ne s’agit pas seulement de comprendre le type d’énoncés par lesquels nous attribuons ces propriétés. Il faut aussi (et peut-être surtout, même si les deux aspects sont liés) comprendre comment certaines choses satisfont des prédicats dispositionnels. Comme le rappelle Mellor, “les propriétés ne sont pas (ou ne sont pas données) simplement par le sens de nos prédicats”[65]. Si tel était le cas en effet, elles ne pourraient donner leur sens à nos prédicats. Ainsi, il ne viendrait à l’esprit de personne de penser que la planète Mars est, ou fait partie ou est définie, purement et simplement par le sens du mot “Mars” que nous utilisons pour y faire référence. Au contraire, ce qui donne consistance à la capacité référentielle de notre prédicat, quand nous l’utilisons, c’est bel et bien qu’il tient pour acquises l’existence et l’identité indépendantes de la planète Mars. En d’autres termes, nous voulons qu’un énoncé conditionnel, contingent et non vérifonctionnel tel que “si on laissait tomber x, il se briserait” ait un véri-facteur. C’est la raison pour laquelle Mellor, suivant ici Armstrong[66] rejette l’idée rylienne —contre-intuitive— selon laquelle lorsqu’on ne fait pas tomber une chose fragile a et une chose non fragile b, point n’est besoin qu’il y ait entre elle une différence factuelle[67]. Il faut dire, au contraire, que si a est fragile et pas b , alors a et b , qu’on les fasse ou non tomber, doivent bel et bien différer à quelque égard, la différence la plus évidente semblant consister dans le fait que a a la propriété d’être fragile que n’a pas b.

Reste alors à produire les critères permettant d’affirmer la réalité d’une propriété. On peut, en partant de la définition proposée par Mellor et Oliver[68] considérer qu’une propriété est quelque chose de “naturel”, dont le fait de l’avoir en partage implique des ressemblances réelles. Ainsi, s’il existe une propriété telle que le fait d’être fragile, deux choses, quelles qu’elles soient, qui la partagent doivent se ressembler d’une manière ou d’une autre qu’on ne retrouvera entre aucunes autres choses. Peu importe, à ce stade, le sens que l’on donne à ces propriétés: universaux, classes de toutes leurs instances possibles, classes de ressemblances de particuliers ordinaires ou de tropes, etc.  Il suffit de présupposer que les propriétés, quelles qu’elles soient, sont des constituants de véri-facteurs pour des propositions comme “a est fragile”, et partant, pour des conditionnels tels que “si on laissait tomber a il se briserait”[69].

On observera d’emblée que la plupart des propriétés scientifiques remplissent ces conditions: par exemple,  la masse de m unités d’une chose a fait à l’évidence partie de ce qui rend vrai pour tous les f, que n’importe quelle force f qui n’a pas changé m  ferait accélérer a  à f/m en direction de f.

Mais on connaît la difficulté propre aux propriétés (à première vue “dispositionnelles”) telles que la “fragilité”. Pourquoi sommes-nous en effet réticents à l’analyser comme la masse?  Essentiellement parce que, pensons-nous, alors que c’est la même propriété qui fait que toutes les choses de dix kilogrammes satisfont ce prédicat, ce n’est pas forcément la “même” propriété qui fait que toutes les choses fragiles satisfont cet énoncé de réduction: comme l’a montré Mackie[70], des choses de toutes sortes peuvent être rendues fragiles par des propriétés tout à fait différentes. Et c’est pourquoi le terme de “fragilité” finit par donner l’impression qu’il ne nomme en définitive aucune propriété du tout. Peut-être n’y a-t-il rien de tel que la fragilité; peut-être n’y a-t-il que ses bases, à savoir les différentes propriétés catégoriques qui font que des choses de différentes sortes satisfont le prédicat “est fragile”.

Sans doute convient-il alors de résister à une double tentation: la première,  et la plus forte, qui est la tentation catégoricaliste: un prédicat dispositionnel ne désigne vraiment une propriété que si, à la différence de la fragilité ou de la rougeur, il a une base “catégorique” simple, avec laquelle on peut alors identifier la propriété apparemment dispositionnelle[71]. Mais il faut éviter aussi ce qu’on pourrait appeler la tentation “idéaliste”[72] qui, admettant d’emblée l’idée que le monde est composé de deux types de propriétés, les catégoriques et les dispositionnelles, place ces dernières du côté des propriétés non-existantes ou “intentionnelles”. Pas davantage ne sont vraiment convaincantes les tentatives visant à considérer que l’objet aurait en quelque sorte “deux” propriétés, à savoir la fragilité (F) et l’une de ses bases (B)[73]: comment en effet comprendre la relation de F à ses bases, si ce n’est en disant que F est au moins identique à l’une d’elles; en outre,  quelle sera de F ou de B la cause des effets de la fragilité de a, tels que le fait qu’il se brise si on le fait tomber? Ne semblent guère plus satisfaisants les efforts visant, pour expliquer le lien entre F et B, à dire que F est la propriété (de second ordre) consistant à avoir l’une des propriétés (de premier ordre) qui sont ses bases[74].

On peut alors proposer comme critère de la réalité d’une propriété le fait qu’elle figure dans des lois actuelles de la nature, par exemple pour la masse, les lois de l’inertie et de la pesanteur; ou encore, comme le suggère Sydney Shoemaker[75] on peut définir les propriétés par la manière dont elles se combinent pour fixer les pouvoirs causaux des choses — comme lorsque le fait d’avoir les propriétés d’être en métal et d’être aiguisé se combinent pour donner à un couteau le pouvoir de couper (ce qui n’implique pas que ces lois soient nécessaires: on peut, dans un esprit humien, les tenir pour parfaitement contingentes[76]). Ainsi des masses peuvent figurer dans des lois relativement différentes telles que celle d’un univers newtonien où les choses qui accélèrent n’augmentent pas automatiquement leur masse, comme c’est le cas dans notre monde[77]: par exemple, dans un monde newtonien a aura une masse m si et seulement s’il a une propriété m telle que a serait:

accéléré à f/m par n’importe quelle force f qui n’altère pas m;

attirerait d’autres choses avec cette propriété à une distance r avec une force proportionnelle à m2/r2.

 

et ainsi de suite, pour toutes les autres lois actuelles dans lesquelles figurent des masses. Ce sont là tous les énoncés de réduction qui suffisent à distinguer toutes les masses l’une de l’autre et de toutes les autres propriétés factuelles[78].

Attardons-nous sur le critère ainsi proposé, dont se fait également l’écho Max Kistler:  “Une propriété est réelle si et seulement si elle figure dans une loi de la nature”[79]. Nous disposerions ainsi d’un critère d’identité à la fois nécessaire et suffisant, assez en tout cas pour être “ontologiquement” admissible. Nécessaire d’abord car:

 

“Deux prédicats, P et P’ font référence à une propriété unique si et seulement si leurs référents ont des rapports nomiques identiques avec les autres propriétés. Cette condition est nécessaire: si P est nomiquement liée à Q mais non à Q’, et P’ est nomiquement liée à Q’ mais non à Q, alors P et P’ sont des propriétés différentes. Par exemple, la propriété d’avoir une masse équivalente à 511 keV est nomiquement liée à l’attraction gravitationnelle mais non à l’attraction électrostatique. En revanche, la propriété d’être porteur de la charge élémentaire e est nomiquement liée à l’interaction électrostatique mais non à l’attraction gravitationnelle. Par conséquent, ces propriétés sont réellement différentes car elles apparaissent dans des lois différentes”[80].

 

Mais ce critère serait également suffisant. En effet:

 

“Si toutes les propriétés dont on est fondé à affirmer la réalité font partie intégrante du réseau des relations nomiques, alors nous pouvons utiliser leur position, relativement à ce réseau, comme critère de leur identité. La propriété de porter la charge électrique élémentaire est déterminée par sa relation nomique au champ électrique qu’elle engendre autour d’elle, par sa relation nomique à la propriété d’attirer ou de repousser des charges électriques, par la loi selon laquelle elle résiste à toute décomposition en charges électriques plus petites et par l’ensemble des autres lois —peut-être en partie inconnues — dans lesquelles elle figure”[81].

 

 Toutefois, s’il suffit, pour qu’il y ait une propriété, qu’elle entre dans une loi de la nature, l’instanciation d’une loi de la nature n’est pas suffisante pour distinguer un pseudo-processus d’un processus causal[82]. Ainsi “un objet hypothétique qui exemplifie uniquement des propriétés qui n’ont aucun pouvoir de provoquer des interactions n’existerait tout simplement pas”[83]. Un objet étant moins une substance qu’un “complexe de propriétés instanciées”, tout ce qui est requis pour qu’une propriété instanciée F puisse être causalement efficace, c’est qu’elle soit instanciée dans l’événement cause. Prenons l’exemple d’un fil de fer qu’on définira comme “le complexe de propriétés instanciées dans la région spatio-temporelle qu’il occupe”[84]:

 

 “Ce qui fait l’objet de rapports réguliers et nomiques, ce sont les propriétés simples qui forment ce complexe individuel. Ainsi, une des propriétés que le fil de fer partage avec d’autres échantillons du même élément que lui est la structure de ses électrons, plus précisément la répartition en bandes d’énergie propre à chaque élément. C’est cette propriété là, et elle seule, qui détermine certains types de comportement (causal), par exemple, sa capacité de conduire le courant électrique. D’autres propriétés, telles que la structure cristalline des noyaux atomiques, contribueront à déterminer, outre ses propriétés électroniques, d’autres types de comportement; par exemple, sa conductivité thermique” [85].

 

Il est dès lors difficile de ne pas considérer que “toutes les propriétés intrinsèques sont dispositionnelles”, puisqu’elle sont toutes causales,  “dans la mesure où les interactions auxquelles elles donnent lieu sont la seule raison que nous avons de postuler leur existence”[86]. Ainsi, “dire d’un objet qu’il est soluble dans l’eau présuppose qu’il existe des circonstances causalement efficaces qui provoquent un comportement typique pour la solubilité: placé dans ces circonstances, l’objet en question se dissout”.

     Mais on le voit: les dispositions fonctionnent ici avant tout comme une explication causale sans que l’on parvienne à déterminer quel est l’élément explicatif déterminant qui permet d’identifier la disposition: est-ce la capacité causale intrinsèque de la propriété, sa capacité interactionnelle (et donc relationnelle), ou  le fait qu’elle s’inscrive sous la juridiction d’une loi de la nature? 

   On peut considérer qu’il est en définitive peu important d’en décider. Et c’est à ce genre de position que semblent se rallier la plupart des auteurs favorables à une forme “non réductionniste” de dispositionnalisme, comme Kistler[87], Mumford[88] ou Mellor: “Les propriétés…n’ont pas en elles-mêmes à être ou bien dispositionnelles ou bien catégoriques: celles qui existent peuvent simplement être”[89]. Mais alors n’avons-nous pas fait davantage un pas en faveur du “neutralisme” que du “réalisme”?

 

    Sans doute touchons-nous ici aux dilemmes auxquels se heurte toute analyse soucieuse de défendre une certaine réalité des dispositions. Ou bien en effet on définit les dispositions comme des propriétés intrinsèques et suffisamment autonomes pour exercer à elles seules un pouvoir causal, auquel cas on ne sort guère d’une conception aristotélicienne ou médiévale des dispositions, comme operari sequitur esse et on court le risque de se voir accusé de recourir à des propriétés simplement “dormitives”. Ou bien on définit les dispositions à partir de leur insertion dans des lois de la nature, auquel cas les dispositions apparaissent moins en définitive comme des propriétés que comme des “assemblages de causes”, ou des processus relationnels ou événementiels (voire des “modes de présentation” des phénomènes) et l’on voit mal en quoi elles conservent une efficacité causale intrinsèque. Ou bien, en souscrivant à une forme de “dispositionnalisme essentialiste”, on leur reconnaît cette capacité en les présentant par exemple “simplement comme les essences réelles des espèces naturelles des processus qu’elles décrivent”[90], suffisantes pour sous-tendre les lois de la nature, voire pour “déterminer quelles lois existent, et comment les choses sont disposées à se comporter”[91]. Mais cela impose alors, sinon de revenir à une forme ou une autre d’essentialisme, à tout le moins de renoncer — ce à quoi peu d’auteurs semblent prêts— à une conception humienne des lois comme régularités contingentes au profit d’une conception prescriptiviste et nécessitariste des lois. 

     Pour échapper à ces difficultés, sans doute conviendrait-il de s’orienter vers une conception des lois “entre régularité et régulation”, qui permettrait de mieux comprendre, par exemple, pourquoi les lois n’ont pas la rigidité de l’airain, que des exceptions sont souvent possibles, voire constituent la règle, mais de comprendre aussi pourquoi elles peuvent évoluer[92]. Les dispositions trouveraient alors leur intelligibilité dans la nécessité conditionnelle [93] de la loi.  Mais la loi, à son tour ne serait une description vraie du monde qu’à condition de se fonder sur ce que les choses peuvent faire, au sens dispositionnel (et pas seulement possibiliste) du terme. Auquel cas, loin d’être la marque d’un retour à l’obscurantisme, le recours aux dispositions serait plutôt le seul moyen de l’éviter.


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[1]. Voir notamment S. Mumford, 1998; D. H. Mellor, 2000, 757-779.

[2]. “Les propensions, comme les forces d’attraction newtoniennes, sont invisibles, mais comme ces dernières, elles peuvent agir: elles sont effectives  (actual), elles sont réelles. Nous voici donc amenés à attribuer une sorte de réalité à de pures possibilités, à des possibilités “pondérées”. Nous allons jusqu’à attribuer une certaine existence à celles qui ne sont pas encore réalisées, dont le sort ne sera décidé qu’au cours du temps, et peut-être dans un futur lointain. Une telle conception nous autorise à voir sous un nouveau jour les processus qui constituent notre univers, le devenir du cosmos lui-même. Le monde n’est plus une machine causale: on peut maintenant le considérer comme un univers de propensions, un processus de déploiement de possibilités en voie d’actualisation, et de nouvelles  possibilités.” (Popper 1990, tr.fr. 1992, 40-41).

[3]. I. J. Thompson, 1988,  76-77.

[4]. Cf. le chapitre 8 que lui consacre S. Mumford “Eliminativism and Reductionism”, 1998, 170-191.

[5]. “The Origins and Forms of Qualities”, in M. A. Stewart (ed.) 1979, 23.

[6]. 1974, 11; pour des assertions du même type, voir  Quine 1966, 71-2.

[7]. Cf. Mumford 1998, 171.

[8]. 1984, 55.

[9]. Goodman, 1984, 60.

[10] . Ibid.

 

[11]. Carnap 1953, 52-53.

[12]. Pour mémoire: selon la table de vérité de l’implication matérielle, celle-ci  est vraie dès lors que son antécédent est faux, quelle que soit la valeur de vérité du conséquent. On peut donc toujours attribuer à quelqu’un une disposition et sa négation, en même temps, tant que celui-ci n’a pas l’occasion d’actualiser celle-là. Or il faut que l’on puisse parler, par exemple, de la non solubilité d’une pierre et de la solubilité d’un morceau de sucre, alors même que cette pierre et ce sucre n’ont jamais été, ni se seront jamais plongés dans un liquide. Autrement dit, il est absurde de dire qu’une pierre est soluble ou qu’un sucre n’est pas soluble, simplement parce qu’elle ou il n’a jamais été mis dans l’eau. En d’autres termes, il doit être possible, de manière générale, d’exprimer le fait qu’une disposition est présente ou absente, quand bien même elle n’a pas eu l’occasion de s’actualiser.

[13] . Peirce, 1931-1958, vol. 3, § 443.

[14] . Sur ceci, voir Mumford 1998, 47sq. et Mellor 1991, 106-107.

[15] Carnap 1956, 53.

[16]. Peirce, 1931-58, vol. 5. § 403. En vérité, ce  vérificationnisme est encore plus radical que celui des positivistes logiques qui considèrent que le sens d’un énoncé dispositionnel doit pouvoir être ramené à la somme des actualisations passées, présentes, et futures de la disposition (alors que Peirce le réduit à la seule actualisation présente).

[17]. Mellor, 1991, 106.

[18]. Notamment au chapitre 5 de The Concept of Mind, 1949, 112-147.

[19]. Wittgenstein, 1958, 58.

[20]. Peirce, 1931-58, vol. 7 §364-6.

[21]. Ryle, 1949, 120.

[22]. Même si cela est plus visible dans le cas des habitudes que dans celui des dispositions:  “Les habitudes — écrit Peirce — diffèrent des dispositions en ce qu’elles ont été acquises en conséquence du principe selon lequel un comportement du même type  réitéré de façon multiple, dans des combinaison semblables de percepts et d’imaginations, produit une tendance — l’habitude —à se comporter réellement d’une manière semblable, dans des circonstances semblables dans le futur” (5.487).

[23]. Ryle, 1949, 125.

[24]. Cf. Chap. 8 des Catégories, où Aristote indique que les dispositions (diathesis) relèvent, avec les manières d’être, états, ou habitus (hexis) de la première espèce de la qualité, les trois autres recouvrant respectivement, les aptitudes ou inaptitudes naturelles, les qualités affectives (ou passiones), y compris les qualités secondes lockéennes de couleur, d’odeur, de goût, de température, et enfin la figure, et la forme extérieure d’une chose, la droiture, la courbure, etc. 

[25]. Très généralement on définira un véri-facteur (truthmaker) comme étant “ quoi que ce soit dans le monde qui rend vraie une vérité” (Armstrong, 1997, 2, et chap. 8).

[26].Cf. Mellor, 1991, “Predicates and Properties”, 108-9.

[27]. Mellor, ibid.

[28].Armstrong, 1968, 86.

[29]. Mumford, 1998, 174.

[30]. Armstrong 1989.

[31]. Armstrong, 1969, 24. 

[32]. 1997, chap. 5, 69-84, 69 et 80.

[33]. Pour une bonne présentation du dispositionnalisme et de ses difficultés, voir notamment Armstrong 1997, 75sq.

[34]. B. Ellis et C. Lierse, 1994, 45.

[35]. B. Ellis et C. Lierse, 1994, 32.

[36]. B. Ellis et C. Lierse, 1994, 35.

[37]. P. Geach, 1969, 71. Un changement “cambridgien” serait par exemple celui qui voudrait que Socrate change en devenant plus petit que Théétète du fait de la plus grande taille de ce dernier.

[38] . 8b25-10a24.

[39]. Adams, 1987, vol. 1, 280.

[40] Somme de logique, (édit. Biard)1993, chap. 55, 186.

[41]. Adams, 1987, vol. 1, 281, Michon, 1994, 360.

[42]. Il en va de même de certaines dispositions, celles qui s’expliquent par le résultat d’un mouvement local : la santé qui vient de la proportion des humeurs, la beauté, qui n’est que le résultat harmonieux de la disposition des parties, des couleurs, etc. En revanche, d’autres concepts et termes de dispositions et d’habitus signifient des choses distinctes : ceux qui disposent à des actes distincts de la substance, comme la science et la vertu. L’acquisition ou la perte d’une telle disposition ne peut s’expliquer par le seul mouvement local (n’en déplaise aux atomistes); c’est pourquoi il faut en ce cas poser une chose réelle distincte de la substance. cf. Adams, 1987, 282. Voir aussi  Quodl.I.q.18. En règle générale, là où l’acte par lequel une disposition s’exerce est une chose réellement distincte de la substance et d’autres qualités, la disposition l’est aussi. C’est ainsi qu’on peut démontrer l’existence de qualités mentales réellement distinctes:

“Une disposition (habitus) incline parfois l’intellect et parfois non. Car quand quelqu’un est endormi, il ne fait pas l’expérience d’être enclin à penser. Mais dès qu’il se réveille, il fait l’expérience d’être enclin à penser. Par conséquent, puisqu’il y a un tel passage du contradictoire au contradictoire, quelque chose existe dans l’intellect lorsqu’il est éveillé qui n’y existe pas quand il est endormi. Ce ne peut être qu’un acte, parce que la disposition est la même dans quelqu’un d’endormi et d’éveillé”. (Quodl.I.q.18).

Or, considère Ockham, le mouvement local ne peut ici expliquer la différence. C’est en vertu du même principe que le bonheur est dit être une qualité mentale réelle.

[43]. Armstrong 1997, 79.

[44]. Place, 1996, 92-120.

[45]. “Le problème principal d’une telle position” constate Armstrong, “ est d’expliquer les pouvoirs et les disposition que nous prédiquons des particuliers et associons régulièrement  à des propriétés, particulièrement aux propriétés qui ne sont rien de plus que des points théoriques. On ne peut nier que nous associons des vérités dispositionnelles très différentes aux propriétés dont nous créditons les choses. Si une chose a une certaine masse, il est certainement vrai qu’elle est disposée à agir d’une certaine façon. Le problème est de trouver des véri-facteurs, des entités dans le monde qui correspondent à ces vérités, sans l’aide de propriétés telles que les conçoit le dispositionnaliste. On devra accorder une importance extrême aux lois de la nature par quoi il faut entendre, non pas des énoncés nomologiques vrais, mais tout ce qui,  dans le monde rend vrais  de tels énoncés” (1997, 81).

[46]. Ibid.

[47]. Mumford, 1998, 199.

[48]. Ibid., 196.

[49]. On observera au passage qu’il n’y a pas que les propriétés qui aient des essences fonctionnelles. certains objets sont ce qu’ils sont en fonction de la fonction qu’ils effectuent. par ex un thermostat est un thermostat en vertu du fait qu’il est censé déclencher un signal lorsque le seuil d’une température programmée a été dépassé. Tout objet qui a ce rôle fonctionnel est un thermostat quelles que soient ses autres propriétés qui réalisent ce rôle fonctionnel. Ainsi, appeler quelque chose un thermostat, c’est employer un terme dispositionnel.

[50]. Ibid., 207.

[51] Ibid. 208.

[52]. Ibid. 215.

[53] . Voir par exemple J. Searle, 1998, 29 sq.

[54]. Comme le reconnaît lui-même Mumford, 1998, 209.

[55]. Mumford, ibid. 210.

[56]. Mackie, 1973, 136.

[57]. D.H. Mellor, 2000, 757-779.

[58]. Mellor, 2000, 758-759.

[59]. Alexander Bird, 1998, 227-34.

[60]. C. B. Martin 1994, 1-8; D. Lewis 1997, 143-58; Armstrong 1997, 71.

[61]. Mellor, 2000, 762.

[62]. Ibid., 763. Il n’est pas sûr toutefois que ce nouveau conditionnel, qu’on pourrait appeler, en suivant Carnap,“un énoncé de réduction” soit totalement satisfaisant: car il contient lui-même le prédicat “fragile”, et risque donc d’être circulaire ou simplement tautologique, puisque, comme le note Mellor — qui n’y voit pour sa part aucun inconvénient — “pour savoir ce que signifie “fragile”, tout ce qu’il faut savoir, c’est que, par définition,  seules restent ou deviennent fragiles les choses qui, lorsqu’on les laisse tomber d’une certaine façon, se briseront”. Mellor a sûrement raison de dire  que tout ceci nous renseigne sur quelque chose d’inéliminable dans la manière dont nous apprenons le sens des prédicats, en l’occurrence de façon holistique, et sur l’arrière plan de ce que Peirce appelait “les observations collatérales”. Mais le problème est que les énoncés de réduction carnapiens sont précisément censés  moins s’appuyer sur  des  observations que remonter à des énoncés observationnels “de base”. Or les difficultés entourant le statut de tels énoncés de base sont notoires.

[63]. Rejetant le réalisme catégorique et la distinction entre propriétés catégoriques et dispositionnelles, Mellor refuse pour sa part de prendre au sérieux l’objection consistant à dire que les énoncés de réduction ne peuvent donner la signification de prédicats non-dispositionnels comme “est triangulaire” (cf. Ellis et Lierse, 1994, 34).  Sur ce point, cf.  Prior 1982,  Mellor 1982; Mumford, 1998, chap.4.

[64]. Mellor, 2000, 760.

[65]. Mellor, 1991, 171.

[66]. Armstrong 1993, chap. 6.6.

[67]. Ryle, 1949, chap. 5.

[68]. D.H. Mellor & A. Oliver, 1997.

[69]. D. H. Mellor, 2000, 766.

[70]. Mackie, 1972, chap. 4.2.

[71]. Mellor, 2000, 767. Parmi les catégoricalistes, il faut compter bien sûr Armstrong.

[72]. Illustrée, comme on l’ a noté plus haut par U. Place.

[73]. C’est par exemple la position de C.B. Martin dans son débat avec Armstrong et Place, qui considère qu’aucune propriété n’est en soi entièrement “qualitative” (ou catégorique) ou entièrement dispositionnelle. in Armstrong, Martin & Place, 1996.

[74]. R. J. Pargetter, E. Prior, & F. Jackson, 1982.

[75]. S. Shoemaker, 1980, 109-35.

 [76]. Ainsi que non déterministes ou “strictes”, mais probabilistes, et susceptibles de rencontrer des exceptions. cf. M. Kistler, 1999, 59. Sur la théorie des perturbation,  qui explique que les situations exceptionnelles constituent en fait la règle  ibid., 177.

[77] Mellor & Oliver, 1997, introduction §4.

[78]. Mellor, 2000,

[79]. Max Kistler, 1999, 231-232. “Les propriétés naturelles sont la référence des prédicats figurant dans les énoncés nomiques”, ces prédicats qui nomment les propriétés naturelles étant “ceux qui apparaissent dans les axiomes et les lois fondamentales d’une science idéalement achevée”(ibid.,  227).

[80]. Ibid.,  231.

[81]. Ibid. , 231.

[82]. Ibid., 101.

[83]. Ibid. , 224. Pour Kistler, qui suit ici Armstrong, un objet est non pas une substance (73), mais “un complexe de propriétés instanciées”, ou “trope”, dont l’identité est garantie par la persistance dans le temps (96, 101). Dans une telle ontologie, les événements jouent un rôle crucial  (95): ce sont les termes des relations causales (71), i.e. “le transfert d’une quantité d’une grandeur conservée”(39). Dès lors, “une loi ne s’applique pas à des objets en tant que tels, mais à des objets qui exemplifient une propriété particulière” (125).

[84]. Ibid. 222.

[85]. Ibid. 222.

[86]. Ibid. 223. On retrouve le même genre d’analyse chez S. Mumford: “les  dispositions sont des propriétés  et les propriétés jouent des rôles causaux dans les interactions d’une chose avec le monde qui l’entoure” (1998, 118.)

[87]. 1999, voir notamment 225-227.

[88]. 1998, 190-191,  qui opte en faveur de ce qu’il appelle un “monisme neutre” en faveur des propriétés dispositionnelles: “Le réductionnisme dans l’une ou l’autre direction (dispositionnalisme ou catégoricalisme) est une manière à la fois inutile et incorrecte de considérer la relation entre le dispositionnel et le catégorique. Ce que nous avons ce sont deux manières différentes de dénoter les mêmes propriétés”, “deux modes de présentation des mêmes propriétés instanciées”, deux “styles” de dénotation.” Et Mumford en conclut: “les propriétés ne sont que des propriétés simpliciter, dont on devrait penser qu’elles ne sont ni réellement catégoriques ni “réellement” dispositionnelles, mais qui peuvent être dénotées de ces manières. Accepter ce point est un pas décisif dans la compréhension correcte des dispositions”. (1998, 190-191).

[89]. Mellor, 2000, 768.

[90]. D. Ellis & C. Lierse, 1994, 37.

[91]. Ibid. 43.

[92]. Mumford, 1998, dernier chapitre: “Laws of Nature Outlawed”. cf. Kistler, 1999, 177.  On trouve chez E. Boutroux, 1929, 66, et chez Peirce des éléments de réponse sur ce point.

[93] ce que Peirce appelait des “would-be”.