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Communication Dans Un Congrès Année : 2017

Ré-ouvrir des sépultures et manipuler des restes humains dans un contexte archéologique, une intervention désormais sensible ?

Gaëlle Clavandier
  • Fonction : Auteur
  • PersonId : 868509

Résumé

L’intégrité de la sépulture est une question tout à fait passionnante, d’autant quand celle-ci est interrogée par des archéologues du funéraires et des anthropologues, qui par leur action, sont amenés à intervenir sur ces mêmes sépultures. On a coutume d’imaginer que les morts sont relativement stables, à savoir qu’ils s’établissent ou plutôt sont placés dans un lieu qui leur est dévolu. Il n’est pas étonnant que cette représentation soit la plus commune, car depuis la fin du XIXe siècle, le cimetière communal est associé au lieu de repos des morts. Jean-Didier Urbain, dans La société de conservation (1978) a montré combien la métaphore du sommeil était prédominante, associée au culte du souvenir des morts. Tant le sommeil, le souvenir, la conservation évoquent le caractère immuable de la mort. Cette vision, si elle n’est pas contestable au sujet des concessions perpétuelles ou plus modestement des concessions renouvelées de génération en génération, n’en est pas moins discutable. En effet, les sépultures sont régulièrement ouvertes, reprises ; le terrain commun octroyé gratuitement par la collectivité pour une durée de 5 ans étant l’archétype de cette rotation des morts au sein du cimetière. Une rotation bien plus rapide que celle d’une vie humaine, ou encore d’une génération caractérise la gestion des sépultures. Qui plus est, la crémation implique d’autres modalités symboliques et pratiques concernant la manipulation des restes (calcius ou cendres). Nous partirons de l’idée, défendue par ailleurs par Arnaud Esquerre (2011), que les morts, et par conséquent les sépultures, sont plus mobiles et éphémères qu’on ne le croit, ceci valant par hypothèse pour toutes les époques. Là un cimetière de pestiférés redevient une terre agricole l’épidémie passée, là un « corps » réduit et déposé dans une boîte à ossements, ce pour laisser de la place dans le caveau familial, là un corps exhumé suite à une enquête médico-légale, là une concession reprise car non entretenue, les restes y séjournant étant déposés à l’ossuaire. La question qui se pose est de savoir dans quel contexte la sépulture est-elle ouverte et le corps manipulé et selon quelles modalités pratiques et finalités : réorganisation de la sépulture, réassignation (volontaire ou involontaire) du lieu à d’autres usages, pillage, outrage, profanation et plus récemment, défaut d’entretien, enquête médico-légale… Le caractère « sacré » des espaces funéraires et tout particulièrement de la sépulture (qui se transforme en respect dû aux morts), fait que l’on a tendance à penser que toute opération la concernant est soit dégradante, soit le signe d’une grande distance (le fait de personne extérieure à la lignée ou la communauté). Or, le plus grand nombre des interventions, sont vraisemblablement dû à la gestion des espaces funéraires. Il n’en demeure pas moins, que mettre à jour ou à nu une sépulture, n’est pas un acte anodin, quand bien même il serait légal et encadré. Je souhaiterais m’attacher, dans cette contribution, à l’intervention des archéologues et des anthropologues sur les sépultures et tout particulièrement sur les restes, ce dans un contexte d’évolution des sensibilités à leur égard. Les 8ème rencontres du GAAF, « La mort de plus en plus proche : Rencontre autour de nos aïeux », organisées à Marseille avait été l’occasion de s’interroger sur l’étude de sépultures proches de nous et sa dimension éthique. Il s’avère que la place qu’occupent actuellement les anthropologues biologistes et les légistes amène une reconfiguration de l’intervention, notamment dans la manipulation des os issus de crémations ou d’inhumation et surtout dans la possibilité de s’approcher de plus en plus de l’identité des personnes en question. Sans qu’il ne soit toujours question de l’identité au sens d’attribuer un nom, les techniques actuelles permettent (tendent à permettre) d’identifier le sexe, l’âge de l’individu, éventuellement les traumas ou les épidémies qu’il aurait pu subir. Données qui, si elles sont croisées avec les sources matérielles et archivistiques, sont susceptibles de donner des indications sur l’appartenance à un groupe social, à une communauté, sur les usages et croyances funéraires… Ainsi, une part de la trajectoire de « l’individu » est restituée par l’étude de ses restes, ce qui donne accès à la personne. Dès lors, la distance d’avec la mort, mais surtout le mort, semble se rétrécir et se « désopacifier ». C’est bien à de l’humain dont on a affaire, certes sans la profondeur de la chair (Memmi, 2014). De ce point de vue, le processus de mise à distance et d’objectivation qui caractérise toute démarche scientifique devient plus complexe à tenir et nécessite pour le chercheur de se positionner. Peu à peu, il semble qu’un basculement s’opère, même chez les scientifiques, vis-à-vis des restes fouillés, qui ne sont plus seulement, des biens, des matériaux, des objets, mais bien des restes humains, des matériaux sensibles. Une difficulté qui se renforce dans un contexte où les pouvoirs publics, et différents acteurs (communautés religieuses, habitants proches d’une zone de fouille, lignée ou descendants du/des défunts) s’impliquent dans cette nouvelle qualification. Certes, il ne s’agit pas de dire que l’archéologue et/ou l’anthropologue place ces questionnements sociétaux et éthiques au premier rang de son intervention, laquelle reste avant tout guidée par des protocoles scientifiques et une déontologie professionnelle. Cependant, cette activité n’intervient pas ex-nihilo, puisqu’elle est située dans un espace-temps qui fait intervenir les sensibilités contemporaines (la sienne, celles des décideurs, celles des publics…). La plupart des fouilles qui mettent à jour des restes humains, sont issues de chantiers programmés (fouilles préventives), ou liées à des exhumations relatives à des conflits (dont la guerre 1914-18 en particulier). Les premières, comme les secondes supposent des précautions particulières. La première parce que fréquemment les emprises de fouilles sont partielles, ce qui implique de trancher sur le devenir des restes issus de sépultures non étudiées (ou partiellement). La seconde car elle implique de prendre en compte des aspects mémoriels, commémoratifs et politiques. Dès lors, que l’on intervient sur une sépulture aujourd’hui, quelle concerne des restes anciens ou plus récents, la manipulation et plus que jamais la trajectoire et par conséquent le devenir des restes issus de ces fouilles, devient une question légitime. Plusieurs cas récents indiquent que le respect de la dignité humaine est le principe qui prévaut pour guider les interventions et trouver une issue tenable. Cette nouvelle donne a pour conséquence de redéfinir les rôles de chacun et fait advenir les restes comme de potentiels « actants », puisque substrat de personnes humaines (de la personne humaine). Développer une approche sensible, presque sensorielle est-elle une issue ? Reconnaître un statut à ces restes en est-il une autre ? En tout état de cause, renforcer la/les déontologies professionnelles ou tout au moins le cadre des interventions apparaît nécessaire, voire urgent pour que nos professions puissent se positionner au regard de ces évolutions sociétales.
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-01526790 , version 1 (23-05-2017)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-01526790 , version 1

Citer

Gaëlle Clavandier. Ré-ouvrir des sépultures et manipuler des restes humains dans un contexte archéologique, une intervention désormais sensible ? . 9ème Rencontre du GAAF, Ritualiser, Gérer, Piller : Rencontre autour des réouvertures de tombes et de la manipulation des ossements, GAAF, May 2017, Poitiers, France. ⟨halshs-01526790⟩
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