Les cours universitaires de Davos 1928-1931. Au centre de l'Europe intellectuelle - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Pré-Publication, Document De Travail Année : 2011

Les cours universitaires de Davos 1928-1931. Au centre de l'Europe intellectuelle

Résumé

Ce dimanche 18 mars 1928, peu avant 11h, si la foule se presse si nombreuse devant l’entrée du luxueux Grand Hôtel Curhaus de Davos, c’est que chacun croit savoir - ou nourrit le diffus espoir – que la rencontre qui va s’y tenir sera à marquer d’une pierre blanche dans l’histoire de la station grisonne. Si tous les regards se focalisent sur le visage souriant du « plus grand physicien contemporain », Albert Einstein, auquel le Prix Nobel de physique a été attribué six ans auparavant, ce personnage ne représente toutefois que la face éminemment visible d’un rassemblement de personnalités académiques tel que l’Europe n’en avait plus vu depuis le déclenchement du premier conflit mondial. Durant les quatre semaines qui vont suivre, près de cinquante professeurs se relayeront en effet à la tribune de ces premiers Davoser Hochschulkurse, aboutissement de plusieurs années de rêve davosien et de préparations minutieuses. Après avoir été accueillis par le Landammann de Davos, les invités de marque et l’abondant public sont rapidement captivés par les interventions solennelles du philosophe et biologiste Hans Driesch et du sociologue Lucien Lévy-Bruhl. Un Allemand et un Français, deux scientifiques qui se proposent de sceller une fois pour toutes la fragile amitié enfin retrouvée après de trop longues années d’ignorance mutuelle. Alors que le Pacte de Locarno d’octobre 1925 témoigne d’une apparente décrispation des relations diplomatiques entre les sœurs ennemies d’Europe de l’Ouest, les Davoser Hochschulkurse font figure de « Locarno des intellectuels », établissant une fois de plus la Suisse dans une position de médiatrice bienveillante à l’égard de ses voisines. Plus qu’un acte politique, cette entreprise intervient à un moment de l’histoire européenne où toutes les conditions semblent réunies pour donner raison aux plus optimistes, à l’image du jeune sociologue Gottfried Salomon, très impliqué dans le projet, qui en appelle dès la conférence inaugurale à l’instauration d’une « république de savants où, sans distinction de patrie et de confession, l’union régnera » ! En mars 1928 sont donc lancés les premiers cours universitaires de Davos, inaugurant une série de quatre Rencontres de grande envergure. Bien qu’étant une condition nécessaire à la réalisation d’un tel projet, la bonne volonté d’une élite universitaire, traumatisée de part et d’autre du Rhin par la dureté incroyable de ce début de siècle, ne suffit pas à en expliquer la complexe genèse. La multiplicité des paramètres, des réseaux et des intérêts qui composent le tissu sous-jacent aux Rencontres de Davos laisse en effet penser que ce n’était que dans cette montagne presque magique que pouvait se réaliser un si heureux concours de circonstances ! Dans ce travail, nous allons tenter d’une part de combler le très grand vide documentaire concernant les Davoser Hochschulkurse en exposant les résultats de notre investigation archivistique et d’autre part d’expliciter au mieux les différents réseaux et trajectoires dont Davos a été le point nodal. Trop longtemps considérés uniquement comme théâtre d’une rencontre entre les philosophes allemands Ernst Cassirer et Martin Heidegger, les cours universitaires de Davos n’en ont pas moins une existence propre dont il est nécessaire de reconstituer les origines. Lieu de cure alpin avec toute la dynamique économique, médicale et touristique que cela implique, foyer de peuplement international à la colonie allemande incontournable et luxueuse station hôte de rencontres scientifiques, Davos est déjà le produit d’une importante corrélation d’intérêts locaux. Alors que le rêve d’y fonder une université de montagne y est régulièrement remis sur la table, les facteurs régionaux ne sont pas suffisants pour expliquer la fondation des Davoser Hochschulkurse qui verront le jour suite à l’heureuse rencontre des intérêts davosiens avec la – ou plutôt les – dynamiques internationales de rapprochement intellectuel. On questionnera en effet les liens qui s’élaborent petit à petit entre universitaires français et allemands ainsi que leur volonté de plus en plus explicite de se donner les moyens de leurs ambitions pacifistes en mettant sur pieds des structures scientifiques et institutionnelles vouées, à des degrés divers, au rétablissement de relations cordiales et fructueuses. Davos est donc le lieu d’une collision. Une collision entre deux volontés, celle portée par des personnalités européennes marquées par la Première Guerre mondiale de rétablir les relations mises à mal par des décennies de haine et celle, portée par des médecins et des responsables politiques locaux, de dynamiser leur ville en y érigeant une université ouverte aux étudiants du monde entier, aussi bien tuberculeux que bien portants. Deux volontés, deux ambitions qui ont besoin l’une de l’autre pour se concrétiser en un compromis fragile dans lequel Davosiens comme savants mettent de grands espoirs. Dans une démarche chronologique, tout en laissant survenir les approches traversantes, ce travail aborde dans un premier temps le projet local d’académie des cimes, mettant en valeur ses fondements philanthropiques, son ancrage politique dans le paysage économique davosien et la promotion ambitieuse dont il est l’objet dès 1926. Dans un deuxième temps, nous étudierons la réappropriation de cette première initiative par une dynamique internationale que nous tenterons d’analyser dans le contexte problématique du timide réchauffement des relations franco- allemandes de l’entre-deux guerres. Cette démarche sera l’occasion d’interroger la création des Davoser Hochschulkurse comme outil au service d’un nouveau dialogue scientifique européen, où la Suisse diplomatique a également son rôle à jouer. Une fois le cadre posé et les interactions entre réseaux impliqués mises au jour, nous nous pencherons plus en détail sur l’organisation des cours universitaires eux-mêmes, produits des dynamiques locales et internationales, pour éclairer le plus complètement possible les conditions d’émergence de telles rencontres cosmopolites. Prenant un départ plus qu’ambitieux, la belle émulation de 1928 ne connaîtra malheureusement pas la pérennité tant souhaitée et s’éteindra quelques années plus tard dans des circonstances qu’il s’agira d’éclaircir, entre difficultés économiques et échec de la diplomatie occidentale face à la montée des nationalismes en Europe. Jetant un regard global sur l’aventure davosienne, nous nous intéresserons à la couverture médiatique toute particulière dont a bénéficié cette expérience internationale. L’intérêt de cette approche rétrospective sera de pouvoir prendre un certain recul vis-à-vis de notre objet de recherche, permettant d’en dégager les principales évolutions et logiques internes. Dans cet ordre d’idée, une approche plus sociologique des panels d’invités tentera d’évaluer la cohérence globale des quatre rencontres de Davos avant de se pencher sur deux constantes jusqu’alors laissées de côté : le rôle du public, particulièrement des étudiants venus en nombre dans la vallée grisonne pour entendre les conférences d’éminents professeurs, ainsi que l’encouragement important déployé par les instances politiques locales à l’égard de la dynamique naissante des sports d’hiver ! Au croisement des réseaux de la Davos médicale et touristique, de la Suisse des bons offices, des relations diplomatiques franco-allemandes et de l’Europe académique, qu’ont produit les Davoser Hochschulkurse ? On ne doute pas que ces rencontres aient eu un impact sur les trajectoires personnelles des individus, professeurs et étudiants, qui les ont fréquentés, mais en est-il de même à un niveau plus global en termes de reconstruction des relations intellectuelles franco- allemandes ?
Fichier non déposé

Dates et versions

Identifiants

  • HAL Id : halshs-01526597 , version 1

Citer

Martin Grandjean. Les cours universitaires de Davos 1928-1931. Au centre de l'Europe intellectuelle. 2011. ⟨halshs-01526597⟩

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