Gens de parole. Langage, poésie et politique en pays touareg - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Ouvrages Année : 2000

Gens de parole. Langage, poésie et politique en pays touareg

Dominique Casajus

Résumé

Tuaregs live in the Sahel and the southern Sahara. Until the beginning of this century, these people were spread out in different tribes each forming an independent political group. Despite the national borders of Algeria, Mali, Libya and Niger, which separate them today, they share a common language descended from Berber. In Gens de parole, Dominique Casajus undertakes an ethnological study of a people who inspired a whole mythology in the imagination of French colonists and historians. The author particularly focuses on their oral tradition and language, to which they give great importance. Their favorite uses of language are elegiac and war poetry. Casajus, aware of the subjective aspect of ethnology, offers the most objective analysis and observation possible on Tuaregs.
See excerpt ici : http://books.google.fr/books?id=S8KdAgAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
Les Touaregs vivent dans le Sahel et le Sahara méridional, répartis entre plusieurs groupements qui furent jusqu'au début de ce siècle des unités politiques indépendantes. Par-delà les frontières nationales qui les séparent aujourd'hui, la langue qu'ils partagent leur donne le sentiment de former une communauté. Mais, autant que la langue elle-même, ce qui les rassemble, eux qui se désignent comme les "gens de la langue touarègue", ou les "gens de la parole", c'est le souci du bien-parler. L'auteur de ce livre publié en 2000 par les éditions La Découverte s'efforce de révéler les mystères et de restituer toute la subtilité de cette parole "pénombreuse", qui accorde une place singulière au silence et au non-dit. Partant à la rencontre des hommes voilés, il évoque ces paroles échangées à l'ombre des tentes et notamment la forme de parole la plus précieuse, la poésie, élégiaque ou guerrière.
Le maître mot de la poésie, dans son versant élégiaque, est esuf, terme qui désigne aussi bien la situation et les sentiments du délaissé que les lieux désertés par les hommes. À ces acceptions qu'il partage avec notre "solitude", le mot ajoute une connotation qui lui est propre : celui dont les Touaregs disent qu'"il est dans l'esuf", ou que "l'esuf est en lui", est accompagné dans sa solitude par le souvenir des moments enfuis où elle ne l'habitait pas. L'esuf est la solitude mêlée au sentiment vif encore d'une présence maintenant abolie. Fréquente dans les conversations comme dans les poésies, une expression qu'on peut traduire par "il (ou elle) me manque" laisse bien percevoir cette connotation : "son esuf est en moi". L'esuf de celui qui me manque est une solitude pleine de sa présence. Les poètes sont censés composer leurs vers lorsqu'ils sont dans la solitude, dans l'esuf. Il est même des poèmes où l'esuf est explicitement présenté, de concert avec la "pensée tourmenteuse", comme source d'inspiration poétique.
L'accès au langage n'est pas aux yeux des Touaregs le même pour tous. L'art du bien-parler est vu comme l'apanage des aristocrates, le seul que leur aient laissé les misères du temps, tandis qu'une indélébile réputation de grossièreté verbale s'attache aux hommes du commun : celui auquel vous parlez sait votre place dans la hiérarchie sociale et ne vous accorde pas la même écoute selon que vous êtes noble ou ignoble. Le livre devait donc rapporter ce que les Touaregs disent de la hiérarchie sociale, que leurs propos se rapportent au présent ou à un passé dont le souvenir peu à peu s'estompe ; on trouve aussi des traces de ce passé dans les poèmes guerriers encore recueillis en 1907 par Charles de Foucauld. Les presque six mille vers de ce vieux corpus font apparaître que, lors des guerres entre Touaregs, les hostilités militaires s'accompagnaient toujours d'hostilités poétiques, au point que les poèmes échangés par les adversaires constituaient une composante à part entière de la guerre autant qu'un de ses ornements
Les guerres étrangères ne donnaient en revanche pas lieu à des poèmes, du moins pas de ceux qu'on échangeait avec les adversaires. Au contraire des guerres de conquête où l'aristocratie pourchassait la gloire, elles furent souvent vécues comme des guerres saintes et étaient parfois conduites par des hommes de petite naissance. Au nord du Niger, ces guerres ont fait jouer un rôle important au sultanat d'Agadez, une institution qui nous est connue depuis le XVIIIe grâce à des chroniques locales dont l'avant-dernier chapitre de l'ouvrage propose une relecture. Réputé descendre d'une concubine noire du sultan d'Istanbul, le sultan d'Agadez est à la fois respecté pour sa sainteté et méprisé à cause de son origine servile, ambivalence qui marque bien son extériorité par rapport à la hiérarchie donnant aux nobles la précellence sur les roturiers et les esclaves. Des réformateurs religieux comme Jilani au début du XIXe siècle ou Kaosen au début du XXe partageaient la même ambivalence ; tous deux conduisirent des guerres saintes à l'occasion desquelles ils tentèrent de dépasser les clivages internes au monde touareg, et tous deux eurent du mal à faire oublier à leurs contribules la médiocrité de leur extraction.
Après avoir parlé des mots de tous les jours, puis des mots que les poètes assemblent selon la loi du mètre et du rythme, l'ouvrage en vient dans son dernier chapitre à ceux que les lettrés musulmans murmurent à voix basse dans une langue comprise d'eux seuls ; et ces mots sont d'une religion qui fait de tous, l'aristocrate soucieux du beau-parler comme l'homme du commun à la parole réputée malhabile, des égaux devant le Très-Haut. Car les musulmans que sont les " gens de la langue touarègue " savent bien que la langue du Coran n'est pas la leur : les anciens Grecs croyaient que les dieux parlaient leur langue, eux se prosternent cinq fois le jour devant un Dieu dont le message a été délivré en arabe. Leur langue les installe dans leur spécificité et les oppose à tous les autres hommes ; l'adhésion à la religion du Livre les fait membres de la communauté des Croyants et les installe dans l'universel. Double appartenance qui est le lot de tous les musulmans, vécue ici avec plus d'acuité du fait que l'une de ces appartenances est définie par la possession d'une langue. Musulmans, les Touaregs ne peuvent être impunément les gens de la parole.
Voir extrait ici : http://books.google.fr/books?id=S8KdAgAAQBAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
Fichier non déposé

Dates et versions

halshs-00104560 , version 1 (07-10-2006)

Identifiants

  • HAL Id : halshs-00104560 , version 1

Citer

Dominique Casajus. Gens de parole. Langage, poésie et politique en pays touareg. Éditions La Découverte, pp.192, 2000, Textes à l'appui/Anthropologie. ⟨halshs-00104560⟩
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