Origine des matières en suspension dans les bassins-versants ruraux. Conséquence pour le transport et la biodisponibilité du phosphore particulaire
Résumé
Dans les pays développés, les politiques de contrôle des flux de phosphore ont d'abord porté sur le P d'origine ponctuelle (rejets d'eaux usées). Elles ont conduit à une large diminution des flux de P-dissous. En revanche, les flux de P associés à la phase particulaire en suspension (MES), fraction en général dominante du P-total et dont l'origine est principalement diffuse, restent inchangés. L'impact de ces transferts particulaires sur l'eutrophisation des systèmes aquatiques (cours d'eau, lac...) est un phénomène complexe qui dépend du devenir des suspensions (transfert rapide, sédimentation, remise en suspension) et de certaines propriétés biogéochimiques des MES, en particulier de leur aptitude à céder ou à fixer des ions phosphates (pouvoir fixateur des sédiments), ainsi que de leur capacité à fournir les micro-organismes en phosphore (biodisponibilité). Or ces propriétés des MES sont très liées i. à la nature et à l'usage des sols dont elles sont issues et à la charge en P résultante, ii. à l'histoire de leur transfert en fonction des conditions hydrologiques et donc de la saison. L'origine et la dynamique des MES s'avèrent donc des éléments clés pour expliquer les comportements et l'impact du P particulaire dans les écosystèmes récepteurs. Or l'origine des MES est souvent mal connue et en particulier pour les bassins-versants dominés par des prairies (marques d'érosion peu visibles dans le paysage). Nous présentons ici des résultats portant sur la reconnaissance de l'origine des MES dans des petits bassins-versants agricoles (de 2 à 10 km2) dominés par des activités d'élevage, mais dans des contextes géomorphologiques différents (bassins-versants sur schistes en Basse-Normandie, bassins-versants sur moraine et molasse dans les Alpes). L'origine des MES a été établie par des méthodes d'analyse des relations entre charge solide et débit et/ou par des méthodes de reconnaissance de signatures géochimiques et spectroscopiques de sources caractéristiques. Nos travaux mettent en évidence la prédominance des sources liées au cours d'eau (érosion des berges, remise en suspension des sédiments) dans ce type de bassins-versants. On remarque de très fortes productions de particules hors des périodes de crues en lien avec la dégradation des berges par les troupeaux au printemps et pendant l'été. Ces sédiments issus des berges et stockés temporairement dans le cours d'eau ne sont véritablement mobilisés et exportés que lors des reprises hydrologiques. Les propriétés du P associé à ces sources apparaissent comme très différenciées. Les particules issues de l'érosion des berges sont constituées de matériaux à faible teneur en P, à faible biodisponibilité et à fort pouvoir fixateur. Les sédiments stockés en période d'étiage dans les cours d'eau s'enrichissent en P particulaire, en constituant un puits de sorption pour le P dissous. Les MES récoltées lors des épisodes de crue de reprise hydrologique et résultant de la remise en suspension de ces sources secondaires présentent les plus hautes teneurs en P biodisponible et un faible pouvoir de fixation. Ces épisodes, qui correspondent notamment à des crues estivales et à des crues de reprise hydrologique après étiage prolongé, apparaissent à fort impact eutrophisant.