Note de lecture : Milan Kundera, Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale. Paris, Gallimard (coll. Le Débat), 2021, ISBN 9782072966330, 9 €. - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Autre Publication Scientifique Année : 2022

Note de lecture : Milan Kundera, Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale. Paris, Gallimard (coll. Le Débat), 2021, ISBN 9782072966330, 9 €.

Résumé

Ce livre se compose de quatre textes : une présentation de Jacques Rupnik avant « La littérature et les petites nations », discours prononcé en 1967 au congrès des écrivains tchécoslovaques, au coeur des discussions qui permirent l'éphémère éclosion du « printemps de Prague » en 1968, une présentation de Pierre Nora avant le texte qui donne le titre au livre et qui est paru la première fois en novembre 1983 dans Le Débat. La présentation très bien informée de Jacques Rupnik rappelle la vigueur du combat intellectuel pour la liberté et pour la fierté nationale tchèque dans ces années 1960, elle aurait pu peut-être rappeler les notes de Kafka sur l'opposition entre « petites » et « grandes » littératures (Journal, déc. 1911). Kundera, auteur déjà reconnu sur le plan international, grâce à son grand roman La Plaisanterie (1967), pose le problème tchèque : soit rester un dialecte, plutôt appelé à disparaître, soit devenir une nation européenne. Il entame un vibrant plaidoyer pour la liberté d'expression et met en avant le rôle fondamental des écrivains pour la survie d'une culture tchèque nationale… et européenne. Pierre Nora rappelle l'écho rencontré par le texte de 1983surtout en France où l'on s'aperçut qu'il y avait une Europe centrale, des langues et des cultures qui demandaient à être mieux reconnues par l'Occident, malgré la chape de plomb imposée par l'impérialisme russo-soviétique. Du côté autrichien, certains rêvaient du retour d'une Europe centrale habsbourgeoise sans les Habsbourg, rêve absolument vain. Kundera pense l'Europe centrale à partir de Clemenceau, qu'il ne nomme pas et auquel il ne pense pas-c'est-à-dire à partir d'Étatsnations qui doivent leur existence ou leurs contours aux traités qui suivirent la Première Guerre mondiale. Il trace un tableau très négatif de la Russie, impérialiste, assimilationniste, et de l'Europe orthodoxe (il rappelle toutefois que la langue roumaine n'est pas slave), mentionnant notamment la Bulgarie qu'il juge inféodée à la Russie. Il réclame pour l'Europe centrale la place qui lui revient, et de bon droit, en Occident. Belle critique de la slavophilie qui n'est qu'une autre manière de célébrer l'impérialisme russe. Bel hommage aussi aux Juifs d'Europe centrale, si divers et si créatifs. Une réflexion sur les « petites nations », celles qui envisagent leur disparition jusque dans leurs hymnes nationaux-qui pourrait s'étendre aux empires disparus, à commencer par celui des Habsbourg, mais-et cela Kundera ne pouvait pas le savoir-à celui des Romanov et de Staline que Poutine tente aujourd'hui de ressusciter, en dévoilant crument cette fois sa nature russe et impérialiste. A cet impérialisme, qui se parait des atours de l'illusoire révolution socialiste, Kundera opposait en 1983 la conscience nationale et culturelle des nations d'Europe centrale et leur tristesse de constater que l'Occident n'avait plus cette force culturelle qui le caractérisait jusqu'à la première moitié du XX e siècle. Une petite erreur dans ce discours de 1983 : l'armée de RDA n'a pas pu laisser de mauvais souvenirs en Tchécoslovaquie en 1968 car Brejnev n'a pas voulu qu'elle occupât ce pays où la mémoire de l'occupation allemande était trop proche, mais à la décharge de Kundera ce fait n'a pas été rendu public à l'époque. Kundera conclut sur l'espoir semble-t-il vain en 1983 que représente une Europe qui ne pense plus à ceux qui la désirent vraiment. La suite ne lui a pas tout à fait donné raison, puisque l'UE a accueilli et bien accueilli les ex-vassaux de l'Empire russo-soviétique-et que ce sont certains de ces nouveaux membres de l'UE, plutôt catholiques, qui posent des problèmes à la culture démocratique de l'UE, la Hongrie, la Pologne et même la République tchèque. Il n'en reste pas moins que ce petit livre, qui réédite des textes anciens, a le mérite de dire que cette Europe centrale a vocation de s'agréger d'une manière ou d'une autre à l'Europe occidentale, une vocation dont il semble toutefois à l'auteur de ces lignes que personne ne doute plus-à l'exception peut-être de certains partis « illibéraux »… d'Europe centrale.
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Origine : Fichiers produits par l'(les) auteur(s)

Dates et versions

hal-03691621 , version 1 (09-06-2022)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03691621 , version 1

Citer

François Genton. Note de lecture : Milan Kundera, Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale. Paris, Gallimard (coll. Le Débat), 2021, ISBN 9782072966330, 9 €.. Université Populaire Européenne de Grenoble, 2022. ⟨hal-03691621⟩
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