Utilitarisme et subjectivité en didactique des langues : proximité et/ou divergence des interprétations et des positionnements ? - Archive ouverte HAL Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2019

Utilitarisme et subjectivité en didactique des langues : proximité et/ou divergence des interprétations et des positionnements ?

Véronique Castellotti
Marc Debono
Isabelle Pierozak

Résumé

La problématique du caractère prioritairement « utile » des langues constitue une sorte de « serpent de mer », qui traverse l’histoire de la didactique / didactologie des langues (DDdL), tant au plan de la réflexion que de l’intervention. Cette réflexion s’est ainsi manifestée de manière récurrente, par exemple dans les violents débats autour du Français Fondamental (Chevalier, 2006), dans les travaux et les actions mobilisant l’opposition langue de service / langue de culture (Judet de la Combe & Wisman, 2008), ou encore au moment de l’introduction de la Méthode Directe (Reinfried, 1999 ; Salema, 2013). Différentes recherches à visée historique s’en sont d’ailleurs fait l’écho (Besse 2000 ; Puren, 1988 ; Germain, 1993 ; et plus récemment Burrows, 2018 ; Rubio, 2018). Depuis une dizaine d’années, ce débat autour de l’« utilité des langues » est à nouveau posé, du fait notamment de l’ampleur de la diffusion et de l’influence du Cadre européen commun de Référence pour les langues (Conseil de l’Europe, 2001) et de la conception (communicative, actionnelle) des langues que ce dernier contribue massivement à véhiculer, en l’accompagnant d’un discours sur le plurilinguisme et le pluriculturalisme « bénévolent », censé venir tempérer cette conception. Dans ces discussions , la critique de l’utilité et de l’utilitarisme est très régulièrement conjuguée à une critique du capitalisme et du néo-libéralisme, tant pour ce qui concerne l’usage des langues (Duchêne et Canut, 2011 ; Duchêne et Heller, 2013) que leur enseignement (Maurer, 2011 ; Anderson, 2016). Paradoxalement (en apparence en tout cas), la critique politique (i.e. du néolibéralisme et du capitalisme) est également convoquée pour défendre la mise en œuvre des approches communicatives et donc, in fine, du caractère prioritairement utile des langues (Blanchet, 2009). Enfin, on remarque également certaines homogénéités. Par exemple, la conception de la « langue » retenue reste majoritairement assez consensuelle dans les champs universitaires concernés (didactique des langues, sociolinguistique), dans la mesure où elle y est peu discutée, au plan philosophique / épistémologique plus particulièrement. De même, les notions d’« acteur », d’« agentivité », de « processus de subjectivation » (des rapports aux langues, aux savoirs et à leur apprentissage) ou encore de « sujet » et d’« intersubjectivité », voire de « réflexivité » sont des notions actuellement largement circulantes en DDdL (cf. par exemple : Puren, 2016 ; Cicurel, 2011 ; Molinié, 2011). Or, leur mobilisation, bien que s’effectuant selon diverses conceptualisations, semble assumer une fonction commune, à savoir celle d’équilibrer (compenser ?) une focalisation prévalente sur les dispositifs et les outils didactiques, dans un cadre théorique qui reste très majoritairement socioconstructiviste et (donc) intersubjectiviste. Ainsi, certains accords ne portent manifestement que sur les désaccords et relèvent simultanément de profonds différends en termes de positionnement « de fond », de même que certaines prises de position se rejoignent, malgré des interprétations et des engagements apparemment très divergents. Il en résulte une compréhension singulièrement brouillée, voire confuse, du domaine de la DDdL, qu’une lecture essentiellement politicienne ne peut, à notre sens, que très partiellement contribuer à clarifier. Ce panel vise donc, sur la base de l’opposition effectuée dans le présent appel à communications entre utilitarisme et subjectivité, à mettre en évidence et à interroger différents positionnements actuellement prévalents en DDdL, et ce, à partir de leurs inscriptions épistémologiques. Dans une 1ère communication, Emmanuelle Huver partira de différentes critiques développées à l’encontre du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (Conseil de l’Europe, 2001) depuis sa publication et qui se sont intensifiées depuis quelques années. En relevant les principaux arguments ayant sous-tendu ces débats, elle tentera de mettre en évidence les articulations diversement construites entre dimensions épistémologiques et politiques. Les choix effectués en la matière l’amèneront à mettre en perspective, plus largement, les rapports de force et les lignes de partage qui structurent la DDdL contemporaine. Notamment, un détour par les controverses qui agitent l’écologie (et notamment l’agriculture dite « verte » ou encore « durable »), lui permettra d’illustrer : le rôle compensatoire que les chercheurs en DDdL font régulièrement jouer aux dimensions éthiques et politiques, la minorisation de l’épistémologie dont ce positionnement procède et les conséquences de ces choix pour l’avenir de la DDdL. Dans une 2ème communication, Marc Debono s’interrogera sur la place de la technique en DDdL, pour, dans un second temps, retracer l’histoire de la place et du statut de l’utilitarisme et, plus largement, du pragmatisme en DDdL. L’optique « technicienne » (qu’il reliera à la révolution cybernétique et au pragmatisme) semble en effet pouvoir expliquer certaines convergences de vues (sur la langue, sur la « science » du langage, sur l’innovation didactique) qui perdurent derrière les divergences à propos de l’utilitarisme en DDdL. Ce retour sur les rapports entre épistémologie et politique ainsi que sur l’histoire et le statut de l’utilitarisme en DDdL permettra à Isabelle Pierozak, dans une 3ème communication, d’en évoquer certaines conséquences (exemple : statut de l’(inter)culturel). En particulier, elle se demandera en quoi la « (rés)urgence » (intéressante historiquement) des « émotions », « affects », « sentiments » en DDdL pourrait être lisible comme le « symptôme » d’un partage problématique entre « objet » et « sujet », faisant violence à ce dernier (celui-ci étant d’ailleurs déjà ramené à son seul rôle d’enseignant ou d’apprenant). Ceci lui permettra d’exposer un questionnement épistémologique phénoménologico-herméneutique, pour lequel monde et être sont intrinsèquement « consubstantiels », indépendamment d’un (socio)constructivisme relationniste très présent en SHS. Elle se demandera en quoi le sujet psychanalytiquement envisagé entérine cette dichotomie (au demeurant épistémologiquement et historiquement transverse aux SHS selon une certaine approche de la scientificité) et en soulignera les effets potentiellement délétères, en lien avec une DDdL à base phénoménologico-herméneutique. Une dernière communication reviendra sur les implications plus proprement didactiques et didactologiques des réflexions précédentes. A partir de ces dernières, Véronique Castellotti montrera en effet en quoi « l’appropriation » se trouve singulièrement réinterrogée par le fait de considérer que le fait d’apprendre une langue (comme aussi de l’enseigner) s’inscrit dans des histoires et des projets à la fois fondamentalement singuliers et socialement significatifs. Elle s’interrogera ainsi sur la place que peuvent occuper notamment les notions d’altérité, de réflexivité, de compréhension et plus largement d’expérience pour penser la relation dans une perspective appropriative (Castellotti, 2017) qui ouvre une alternative à la dichotomie utilité / subjectivité. Anderson, P. 2016, Une langue à venir. De l’entrée dans une langue étrangère à la construction de l’énonciation, Paris, L’Harmattan. Besse H., 2000, Propositions pour une typologie des méthodes de langues, Thèse pour l’obtention du doctorat d’Etat, Paris 8. Blanchet, P. 2009, « Postface en forme de coup de gueule : pour une didactisation de l’hétérogénéité linguistique – contre l’idéologie de l’enseignement normatif et ses discriminations glottophobes », Cahiers de linguistique, n°35/2, pp. 165-183. Burrows, A. 2018, L'Alliance française de Buenos Aires de 1914 à 1983, étude des conditions de circulation linguistique, Thèse de doctorat en SDL (V. Spaëth, dir.), Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Castellotti, V. 2017, Pour une didactique de l’appropriation. Diversité, compréhension, relation. Paris, Didier. Chevalier, J.C. 2006, « Le pamphlet : Français élémentaire ? Non. 1955. L’affrontement Georges Gougenheim – Marcel Cohen », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, n°36, http://dhfles.revues.org/1187 Chiss, J.-L., 2018, La culture du langage et les idéologies linguistiques, Limoges, Lambert Lucas. Cicurel, F. 2011, Les interactions dans l'enseignement des langues. Agir professoral et pratiques de classe, Paris, Didier. Conseil de l’Europe (2001), Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Paris, Didier. Duchêne A. et Canut C. (dir.), 2011, « Appropriation politique et économique des langues », Langage & société, n°136. Duchêne A. et Heller M., 2013, Language in Late Capitalism. Routledge. Germain, C. 1993, Evolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire, Paris, CLE International, Collection DLE. Judet de la Combe, P. & Wismann, H. 2008, L’avenir des langues. Repenser les humanités, Paris, le Cerf. Maurer, B. 2011, Enseignement des langues et construction européenne. Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante, Paris, Editions des Archives contemporaines. Molinié, M. 2011, « La méthode biographique : de l’écoute de l’apprenant de langues à l’herméneutique du sujet plurilingue ». Guide pour la recherche en Didactique des langues. Approches contextualisées, Editions des Archives Contemporaines, pp. 144-154. Puren, C. 2016, Le travail d’élaboration conceptuelle dans la recherche en didactique des langues-cultures. L’exemple de l’approche par compétences et de la perspective actionnelle. Edition à compte d’auteur, https://www.christianpuren.com/mes-travaux/2016g/. Puren, C. 1988, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, Paris, CLE International. Reinfried, M. 1999, « Le mouvement réformiste et la méthode directe en Allemagne : développement, fondement théorique, variations méthodologiques », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde, n°23, http://journals.openedition.org/dhfles/3045. Rubio, C. 2018, Une langue en mission. Histoire des politiques linguistiques et didactiques françaises en Palestine, Thèse de doctorat en SDL (D. de Robillard, dir.), Université de Tours. Salema, M.-J. 2013, « La genèse de la didactique scolaire du français au Portugal », Synergies Portugal n°1 ; https://gerflint.fr/Base/Portugal1/Article1Salema.pdf

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Linguistique
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03668554 , version 1 (15-05-2022)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03668554 , version 1

Citer

Emmanuelle Huver, Véronique Castellotti, Marc Debono, Isabelle Pierozak. Utilitarisme et subjectivité en didactique des langues : proximité et/ou divergence des interprétations et des positionnements ?. Désir de langues, subjectivité, rapport au savoir : les langues n’ont-elles pour vocation que d’être utiles ?, Feb 2019, Montpellier, France. ⟨hal-03668554⟩

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