Réalités émergentes, possibles, désirables : comment les nommons-nous ?

Agata Jackiewicz (1) , Olivier Kraif (2) , Yumeng Ding (2)

1 Praxiling - Praxiling
2 LIDILEM - LInguistique et DIdactique des Langues Étrangères et Maternelles

Comme le note le sociolinguiste Philippe Blanchet, "Nommer c'est imposer un point de vue : La nomination (le fait de nommer quelque chose d’une certaine façon, avec un certain nom, une certaine expression) consiste à exprimer au moins implicitement l’idée que l’on s’en fait ainsi que le point de vue, le type de rapport au monde, depuis lequel on nomme et on s’exprime. " (Blanchet 2018). Dans un contexte de transition et de mutation socio-politique, et pour éviter d'enfermer la pensée dans des nominations "préimposées" (ibid.) et verrouillée par le pouvoir politique, il est stratégique d'observer avec soin les usages émergents susceptibles de porter des concepts et des praxis alternatives. Au plan linguistique, par nomination (Siblot 1997, 2001, Longhi 2015, Jackiewicz & Pengam, 2020), on entend le processus qui va de la désignation libre émergente d'un nouveau concept, à son éventuelle stabilisation sous la forme d'une dénomination adoptée par l'ensemble des locuteurs. Dans cette communication, nous proposons des pistes pour identifier des nominations émergentes renvoyant à des objets considérés comme désirables, dans l'espace du débat public. On s'intéresse ainsi à des nominations telles que ville durable, ville cyclable, ville vélo-friendly, ville éco-intelligente, ville sauvage (Jackiewicz, 2020). Pour mener cette étude, nous avons réuni un corpus de débats citoyens (issu du Grand débat et du Vrai débat), de documents de travail pour la Convention citoyenne pour le climat ainsi que d'articles de presse sur la période 2018-2020. Outre les approches classiques consistant à identifier les expressions émergentes en fonction de leur spécificité textométrique, nous proposons deux approches novatrices : - d'une part, ces nominations étant souvent caractérisées par des indices co-textuels (guillemets, métadiscours, prise en charge énonciative, cf. Jackiewicz & Pengam, 2020), permettant de spécifier, d'expliciter le sens, ou d'en signaler la nouveauté, nous avons constitué un corpus annoté d'environ 600 occurrences de nominations dont la moitié correspond à des contextes "spécifiants", l'autre moitié correspondant à des contextes neutres. A partir de cette ressource, nous avons entrainé un classifieur permettant d'identifier automatiquement les contextes spécifiants, afin d'en faire un critère pour l'identification de nouvelle nominations. - nous évaluons également une approche distributionnelle basée sur un modèle préentrainé du français, FlauBERT (Le et al., 2020), qui produit des représentations vectorielles contextualisées. Tout comme Cassier (2020), nous faisons l'hypothèse qu'une nouvelle nomination peut être caractérisée par une moins bonne prédictibilité dans le modèle de langage. Nous décrivons les résultats expérimentaux et les ressources produites.

Mots clés: nominations émergentes; contextes spécifiants; linguistique de corpus; TAL; transition socio-écologique

Domaines: Linguistique; Etudes de l'environnement

Agata Jackiewicz, Olivier Kraif, Yumeng Ding. Réalités émergentes, possibles, désirables : comment les nommons-nous ?. Journées SEH Humanités environnementales, Oct 2021, Montpellier, France. ⟨hal-03388818⟩